Les tiers-lieux : nouveaux espaces de l’inclusion numérique
Comme le rappelle la Mission Société Numérique dans sa Stratégie pour un numérique inclusif : « le besoin de formation de la population aux usages du numérique est massif et les réponses actuelles sont insuffisantes ».
Force est de reconnaître qu’insuffisant ne signifie pas inexistant : en 2018, le rapport de la mission « Coworking : Territoires, Travail, Numérique » estimait à 1 800 le nombre de tiers-lieux en France. Puisque ces « acteurs essentiels de la transition numérique et écologique dans les territoires » revêtent des formes multiples, vous intéresser aux tiers-lieux peut devenir un levier significatif pour développer vos actions d’inclusion numérique.
L’accessibilité et la co-construction constituent l’essence des tiers-lieux : ce sont des acteurs de proximité au sein desquels une communauté invente elle-même les réponses à ses besoins. Face à des inégalités d’usage et d’accès persistantes, de nombreux tiers-lieux ont investi les domaines de la médiation et de l’inclusion numériques.
C’est pourquoi à des dynamiques d’entraide et d’échange s’est ajouté le soutien croissant des pouvoirs publics. Si vous menez ou souhaitez mener des actions d’inclusion numérique, comprendre les tiers-lieux et leur écosystème pourrait vous permettre de bénéficier de ces réseaux, dont le présent article vous donnera un aperçu.
Des espaces hybrides au service du lien social
Le concept de tiers-lieu émerge aux Etats-Unis en 1989 sous la plume du sociologue Ray Oldenburg. Il définit les tiers-lieux comme espaces sociaux à mi-chemin entre le domicile et le bureau, caractérisés par des principes d’accessibilité et de neutralité qui en font des « catalyseur[s] d’interactions sociales et de rencontres » (R. Oldenburg, The Great Good Place). En 2018, la mission Coworking complète les propos du théoricien en considérant les tiers-lieux comme « des espaces physiques ou virtuels de rencontres entre personnes et compétences variées qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. Ils permettent les rencontres informelles et favorisent la créativité issue des interactions sociales ».
Ces définitions expliquent que l’on retrouve parmi les tiers-lieux des initiatives variées, allant d’espaces de travail partagés, d’atelier et/ou de laboratoires de fabrication à des services collectifs hybrides (jardins partagés, cafés solidaires…). Certains tiers-lieux peuvent être affiliés à des centres sociaux, d’autres le fruit d’efforts d’association, d’autres encore l’incarnation du travail de citoyens… Les formes demeurent libres et plurielles car, comme l’exprime le centre de ressources Movilab, un tiers-lieu « ne se définit pas par ce qu’il est mais par ce que l’on en fait ».
Le haut potentiel des tiers-lieux pour l’inclusion numérique
En 2018, une étude de la Coopérative des Tiers-Lieux estimait que 27% des tiers-lieux en Nouvelle Aquitaine proposait une offre de médiation numérique. Pour autant, même sans offre de médiation, ces espaces sont souvent imprégnés d’une culture numérique forte – voire « omniprésente » selon l’expression du rapport de la mission Coworking.
« Les tiers lieux, déjà baignés par la culture numérique, pourraient facilement offrir des services d’accompagnement à l’utilisation des outils numériques, recherches internet, réseaux sociaux, visio-conférences, tutorats pour les citoyens ».
Extrait du rapport de la mission « Coworking : Territoires, Travail, Numérique »
Mais plus encore que leur culture digitale, le potentiel des tiers-lieux en matière d’accompagnement numérique se constate par la tendance naturelle des espaces numériques à se transformer en tiers-lieu. Comme l’ont révélé les travaux menés par La 27e Région, les Espaces Publics Numériques (EPN) émergés dans les années 1990 en France intègrent déjà des principes d’ouverture, de collaboration et de créativité. D’abord pensés comme des relais de proximité pour les publics éloignés du numérique, les EPN se sont rapidement transformés en tiers-lieux « où s’inventent des réponses concrètes à la recherche d’emploi et au développement d’activités » (Christine Balaï, 2017).
La neuvième recommandation de la mission Coworking (2018) préconise ainsi de « faire des tiers lieux la porte d’entrée de la numérisation des territoires ».
Ci-dessous, le premier épisode de la série Hyperliens, développée par la Mission Société Numérique, vous fera découvrir La Quincaillerie, un tiers-lieu dans la Creuse où les services de médiation numérique sont aussi nombreux qu’appréciés.
Le soutien croissant des pouvoirs publics
Cette série de la Mission Société Numérique s’inscrit dans la lignée du programme interministériel « Nouveaux lieux, nouveaux liens », qui encadre le soutien des pouvoirs publics aux tiers-lieux. Une des facettes de ce soutien s’est concrétisée avec le lancement, en juillet 2019, de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) permanent « Fabriques de Territoire ».
Cet appel à projets vise à accompagner le développement, d’ici 2022, de 360 « Fabriques de Territoire », c’est-à-dire des tiers-lieux capables de soutenir le développement d’autres tiers-lieux dans leurs territoires. Les lauréats, au nombre de 170 en décembre 2020, bénéficient d’une aide de 75 000 à 150 000 euros sur trois ans, selon un maximum annuel de 50 000 euros, et seront répartis pour une moitié hors des grands centres urbains, et pour l’autre moitié dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
L’inclusion numérique étant une priorité du gouvernement, l’offre de services d’accompagnement numérique (accès aux équipements, formations…) est particulièrement regardée, bien qu’elle ne soit pas obligatoire. Le gouvernement débloque ainsi 3 millions euros supplémentaires pour 30 projets de « Fabriques Numériques du Territoire » dans les QPV.
Aussi, si vos besoins ne s’alignent pas avec cet AMI, sachez que « Nouveaux lieux, nouveaux liens » prévoit également la mise à disposition de lieux vacants pour les projets en quête de locaux, d’une bibliothèque d’outils communs et propose d’autres modes de financements, à l’instar de son fonds d’investissements créé avec Amundi ou de la rémunération des services d’intérêt général.
Pour s’assurer de sa pertinence, « Nouveaux lieux, nouveaux liens » s’appuie sur deux instances de dialogue et d’accompagnement des tiers-lieux : le Conseil national des tiers-lieux, composé de représentants de tiers-lieux, et l’association France Tiers-Lieux, garante de l’application des recommandations de la mission Coworking. Ce sont également les témoins de la posture que le gouvernement souhaite adopter, ne visant ni à « prescrire » ni à « normaliser » : les aides accordées ne sont soumises à aucun usage prédéterminé, et présentent comme principale fin de pérenniser, à terme, le modèle des tiers-lieux bénéficiaires.
« Par une véritable politique publique des tiers lieux, il est possible d’explorer les modalités de cette nouvelle manière de faire dans les territoires ».
Patrick Lévy-Waitz, Président de France Tiers-Lieux
Pour diversifier ou développer vos actions d’inclusion numérique et approfondir le sujet des tiers-lieux, voici quelques liens additionnels :
Depuis la publication de cet article, l’édition 2020 de Numérique en Commun[s] a publié plusieurs ressources liées aux tiers-lieux. En voici un extrait ci-dessous.
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