Les défis de l’accompagnement aux démarches en ligne
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un partenariat avec la Région Île-de-France, visant à simplifier l’accès aux démarches en ligne. Une dizaine de webinars ont été proposés afin de présenter les ressources Les Bons Clics autour des e-démarches sous la forme d’un parcours complet de quatre demi-journées.
Dans le cadre du programme Action Publique 2022, 70% des démarches administratives avaient déjà été dématérialisées en octobre dernier et, d’ici 2022, le numérique devrait avoir conquis les restantes. Deux tiers des Français considèrent pourtant les services publics numériques trop complexes et près d’un cinquième déclarent ne pouvoir réaliser leur première démarche en ligne qu’à condition d’être accompagnés.
C’est pourquoi le gouvernement œuvre pour accompagner la transformation de l’administration et sa prise en main par tous et toutes. Ces efforts, notamment incarnés par Aidants Connect – permettant aux aidants numériques de réaliser les démarches à la place des publics en manque d’autonomie – et FranceConnect – un dispositif d’accès aux services publics grâce à un identifiant unique –, semblent toutefois autant indispensables qu’insuffisants.
Dématérialisation « à marche forcée »
Initiée en 2013 sous la bannière du « choc de simplification », devenue quatre ans plus tard Action Publique 2022, la transition de l’administration vers le numérique est rapidement devenue une préoccupation majeure pour le Défenseur des droits, interpellé de manière récurrente par les citoyens depuis lors. En 2019, dans un rapport dédié, il met non seulement en garde contre la non-prise en compte « des difficultés bien réelles d’une partie de la population et des besoins spécifiques de [certains] usagers », mais également contre « la déresponsabilisation des pouvoirs publics » au détriment des secteurs associatif et privé.
« Si une seule personne devait être privée de ses droits du fait de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et pour l’Etat de droit. »
Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics (Dossier de presse), Défenseur des droits, 2019
Entre autres éléments, le Défenseur des droits souligne les risques d’exclusion et de fracture territoriale que présente une dématérialisation intégrale des démarches. Et s’il recommande de « toujours conserver plusieurs modalités d’accès aux services publics », il met également en exergue l’importance d’accompagner les usagers en difficulté avec le numérique.
Démarches en ligne : les bonnes pratiques pour accompagner vos publics
L’accompagnement des publics vers les démarches en ligne demande une polyvalence certaine. Du côté des apprenants, pouvoir réaliser ses démarches en autonomie suppose non seulement d’avoir un accès à du matériel et une connexion suffisante, mais également de maîtriser un large éventail de compétences numériques de base.
Et du côté des accompagnateurs, il s’agit non seulement de jongler avec une multitude de démarches et de demandes spécifiques, mais également de faire face à une dématérialisation parfois défectueuse. Consulter l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne peut donner un aperçu des démarches en ligne les plus complexes : par exemple, en 2020, la démarche de demande de RSA (Revenu de Solidarité Active) satisfaisait moins de la moitié des 11 500 votants.
Le défi de la transversalité
Pour Jacob Sheen, animateur numérique à La Goutte d’Ordinateur, cette transversalité représente un obstacle important. Lors d’une séance dédiée à l’utilisation de FranceConnect, il confie à Les Bons Clics que « l’histoire d’identifiant et de mot de passe est déjà un grand défi (…). Cette séance fait partie d’un stage pendant lequel on a vu comment naviguer sur internet et comment créer et utiliser le mail. Si on n’avait pas travaillé sur ces sujets, ils auraient rencontré des difficultés ».
Georgette, retraitée présente à l’atelier, le concède : « il y a des choses dont je ne me rappellerais pas : peut-être que ça reviendra devant l’ordinateur ». Pour elle, l’apport de ces formations se déploie principalement sur le long-terme, un point sur lequel s’accorde Olivier, un intermittent du spectacle de 56 ans participant également à l’atelier. Face au caractère subi de l’usage d’internet, il insiste sur l’importance de « la patience [et] la pédagogie ».
Rassurer
Le numérique peut également exacerber des craintes liées au caractère officiel des démarches administratives, un ressenti avec lequel doivent composer les accompagnateurs sociaux et numériques. Suite à un atelier consacré aux démarches en ligne organisé par l’association Tous Au Web, à Bagneux, le formateur numérique Francis Oliveira déclare ainsi à Les Bons Clics qu’il faut « instaurer un esprit de confiance, un climat chaleureux ». Pour Claire, dont c’était la quatrième séance avec l’association, la mayonnaise semble avoir pris. En recherche d’emploi dans la région parisienne, elle signale que « tous ces boutons, ça me fait peur. Francis montre que c’est anodin, ça rassure, ça permet d’aborder l’écran plus sereinement ».
« On s’en fait toute une montagne au départ et en fait on y arrive, on peut apprendre. Donc je suis ravie : j’ai fait des progrès, j’ai moins peur aussi. »
Nathalie, en recherche d’emploi, participant à la formation aux démarches en ligne organisée par l’association Tous Au Web (Bagneux)
Le huitième baromètre de la confiance dans le numérique de l’ACSEL, publié en janvier dernier, établit que plus de la moitié des Français considèrent internet risqué. C’est pourquoi il convient de rassurer vos publics quant à la confidentialité de leurs démarches en ligne. En la matière, les explications de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) pourront vous aiguiller. De même ses recommandations pour réaliser une charte informatique peuvent rassurer celles et ceux que vous accompagnez. Et, s’il est conseillé, le rappel de certaines règles, à l’instar de la vigilance et des méthodes d’authentification des fraudes, ne doit pas exagérer les risques encourus.
L’humain et la technique au même niveau
L’administration, même numérique, demeure complexe et sujette à de multiples ramifications : si préparer ses séances permet d’anticiper certaines questions, il est possible que vous ne disposiez pas de toutes les réponses. Aussi, pour Francis Oliveira, les compétences techniques d’un accompagnateur n’ont d’égal que ses qualités humaines : « lorsque je ne sais pas quelque chose, je le dis et je fais tout pour trouver une réponse. (…) Prendre les gens en considération, c’est le plus important. Il ne faut pas éviter la question. Répondre à côté, ça ne marche pas ». Le site de l’administration, Service Public, pourra alors vous éclairer.
Individualiser lorsque c’est possible
Accompagner vers les démarches en ligne suppose de s’adapter aux besoins de tous les participants. Pour Francis Oliveira, les ateliers les plus adéquats sont des ateliers collectifs laissant la place à un accompagnement individuel ponctuel, une organisation grâce à laquelle il est possible d’apporter l’aide la plus pertinente.
« Chacun vient avec ses difficultés et ses besoins. »
Jean-Philippe, animateur bénévole à l’EPN Goutte d’Ordinateur (Paris)
Une autre manière de s’adapter peut passer par le choix du terminal. En 2019, plus de trois quarts des Français âgés de douze ans et plus disposaient d’un smartphone, si bien que pour Médiamétrie, la majorité de l’usage quotidien d’internet passe par un terminal mobile. Les démarches en ligne étant réalisables par ce biais, un module pédagogique dédié est disponible sur Les Bons Clics.
« Nécessaire coopération »
Dans un entretien avec La Gazette des Communes, le responsable du laboratoire régional d’innovation Ti Lab, Benoît Vallauri, concluait que, les publics précaires étant amenés à réaliser plus de démarches, la charge de la dématérialisation venait s’ajouter aux inégalités préexistantes.
« Plus vous êtes précaire, plus vous êtes confronté à la dématérialisation. »
Benoît Vallauri, à La Gazette des Communes en janvier 2021.
Une déclaration qui fait écho aux conclusions du rapport de 2019 du LABAcces, un projet de recherche porté par la Région Bretagne et la DRJSCS (Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) mis en œuvre dans le cadre du Ti Lab. Se penchant sur l’accès aux droits dans un contexte de dématérialisation, le rapport établit qu’il convient d’articuler les « missions communes et spécifiques des intervenants sociaux, des médiateurs numériques et des médiateurs sociaux ».
Pour garantir l’accès aux droits à tous et toutes, les acteurs et structures de l’accompagnement social et numérique doivent ainsi coopérer « à l’échelle des territoires [en tenant] compte des dynamiques locales ».
Par exemple, depuis deux ans, le point d’accueil Emmaüs Connect à Strasbourg accueille tous les quinze jours deux volontaires en service civique de la CAF du Bas-Rhin, qui co-animent un atelier dédié pendant l’avant-dernière séance d’accompagnement de demandeurs d’emploi. Ces derniers s’entraînent ainsi à naviguer sur le site de la CAF, à simuler des prestations, à réaliser leur déclaration trimestrielle ou d’autres manipulations en lien avec les modules Les Bons Clics présentés lors des séances précédentes. De même à Lille où, à la fin des ateliers d’initiation animés par les équipes d’Emmaüs Connect, des salariés de la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) proposaient une formation de deux heures sur ameli.fr.
Parmi les solutions développées par l’état pour améliorer l’accès aux démarches en ligne figurent la plateforme Solidarité Numérique, ainsi que les dispositifs FranceConnect et Aidants Connect. Pour en savoir plus sur ces deux derniers, vous pouvez découvrir nos articles dédiés.
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