Inclusion numérique : pourquoi et comment passer par l’autoformation des publics ?
« J’ai suivi deux fois le même cycle de formation de 5 ou 6 sessions dans un EPN (ndlr : espace public numérique) : je n’avais pas suffisamment pratiqué, et j’ai dû recommencer » déclarait récemment un usager de la médiathèque Canopée la Fontaine au média Les Bons Clics. « Maintenant, poursuit-il, je prends systématiquement le temps de refaire tout seul, chez moi, ce que j’ai appris ».
Cet usager pointe ainsi du doigt un enjeu majeur de tout enseignement, à savoir la continuité de l’apprentissage : comment s’assurer que les apports d’une formation ne se volatilisent pas à la dernière minute d’un accompagnement ?
En la matière, le numérique a permis l’émergence de nouvelles formes d’enseignement, notamment – mais pas seulement – à destination des adultes. Les classes virtuelles ou les MOOCs (acronyme anglais pour formation en ligne ouverte à tous) témoignent par exemple d’une modalité d’apprentissage de plus en plus répandue, l’autoformation.
Si l’on peut envisager l’autoformation comme la possibilité pour les apprenants de se former seuls avec des contenus pédagogiques accessibles n’importe où et n’importe quand, elle est loin d’être uniforme et parfaite. Aussi, c’est sous certaines conditions qu’elle peut être une option à considérer pour les acteurs de l’inclusion numérique.
Voici donc quelques éléments préliminaires à la lecture de cet article :
- L’autoformation n’est pas envisageable pour tous les publics, par exemple pour les grands débutants ou les personnes sans accès à une connexion ou à un équipement ;
- L’autoformation peut prendre plusieurs formes et s’opérer selon différents degrés : elle n’est pas exclusive, et peut venir en complément de – voire renforcer – un accompagnement présentiel ;
- L’autoformation ne doit pas faire porter aux apprenants l’entière responsabilité de leur apprentissage.
Pourquoi proposer de l’autoformation
Autoformation, c'est-à-dire ? En pédagogie, on parle aussi de e-learning ou e-training : cela permet aux apprenants de se former à distance et d’avoir accès à différents contenus pédagogiques, à tout moment de la semaine et dans le lieu de leur choix. Ces temps peuvent intervenir avant ou après un accompagnement présentiel. On parle alors de « parcours hybrides ».
Argument 1 – Pédagogie active : la pratique autonome tout court est importante
C’est au début du 20ème siècle que le philosophe états-unien John Dewey a théorisé l’apprentissage par l’action, suivi quelques années plus tard par Jean Piaget qui montrera « que le savoir s’acquiert par accommodation et ajustement des représentations en expérimentant sur le réel » (Cahier #2 du Louvain Learning Lab, 2017).
Le rôle central qu’ils donnent à l’expérience et à l’expérimentation se retrouve également chez les tenants de la pédagogie active, pour qui la mise en pratique permet de garder l’attention des apprenants, de les engager dans leurs apprentissages et de consolider ces derniers.
En expérimentant en autonomie, l’apprenant peut en effet avancer à son propre rythme, se tromper (ou non) et recommencer. Le droit à l’erreur est un moyen incontournable pour acquérir des compétences – notamment digitales.
Exemple d’exercices :
Par exemple, dans la formation Les Bons Clics « Découvrir l’univers des applications mobiles », les apprenants comparent en binômes des applications météo selon une liste de critères (la mieux notée, la plus légère, la plus récente). Peu d’apports magistraux sont fournis en amont pour les aider à choisir une application, c’est l’activité en elle-même qui leur permet de le découvrir.
Lien utile :
- Le livre blanc de Sydologie sur « La place des 5 grandes théories de l’apprentissage dans la formation » (2019)
Argument 2 – L’apprentissage autonome en dehors de la structure permet d’augmenter l’efficacité du présentiel accompagné
Si la pratique en autonomie est essentielle, elle peut aussi être pensée en complément d’un apprentissage en dehors de la structure et du temps d’accompagnement. Le temps de découverte notionnel peut par exemple se faire à la maison – via le numérique notamment – afin de se concentrer sur de la pratique pendant les temps en présentiel.
C’est le principe de la classe inversée, que le Louvain Learning Lab définissait en 2016 comme « une approche pédagogique dans laquelle une première exposition à la matière s’effectue de manière autonome, dans une phase préalable à une phase présentielle animée par un enseignant ». En appliquant la classe inversée, l’enseignant devient un facilitateur – et non un expert –, et l’apprenant « un partenaire actif dans l’élaboration du savoir » – et non un « réceptacle du savoir transmis ».
La pédagogie inversée fait partie des principes appliquées par Marion Tourbillon, conseillère numérique depuis octobre 2021 dans la communauté de communes du Grand Charolais : « à la fin de l’atelier, je donne [aux apprenants] des parcours, des exercices ou encore des liens à consulter d’une séance à l’autre, lorsqu’ils sont seuls, pour qu’ils reviennent la semaine suivante avec des questions et des idées nouvelles. On recommence ensuite la boucle jusqu’à ce qu’ils soient complètement autonomes sur leurs processus de recherche et qu’ils sachent ce qu’ils veulent faire sur le numérique ».
Avant de prescrire l’autoformation, celle qui est également formatrice F4.0 (spécialiste de la digitalisation) précise toutefois avoir besoin de rencontrer les personnes. « Je dois leur donner la capacité d’aller sur les outils, détaille-t-elle. Et il faut aussi savoir comment leur transférer l’information, parce que tous les apprenants n’apprennent pas de la même manière ».
Exemple :
Par exemple, dans le parcours Les Bons Clics « Être parent à l’ère du numérique », il est possible de débuter son entrée dans la thématique par un quiz à faire à la maison pour ensuite continuer à développer ses connaissances lors d’un atelier présentiel. Aussi, tous les supports à projeter Les Bons Clics peuvent être utilisés en atelier mais aussi en autonomie ! Cela permet aux apprenants de revenir sur des notions abordées pendant l’accompagnement.
Liens utiles :
- « La classe à l’envers pour apprendre à l’endroit », Les Cahiers du Louvain Learning Lab (2016)
- Le parcours des Bons Clics sur la parentalité comprend également une vidéo, « 10 astuces pour mieux vivre le numérique en famille »
Argument 3 – La pratique autonome en dehors de la structure permet de développer l’un des principes pédagogiques fondamental : la répétition dans le temps
L’un des leviers les plus importants pour apprendre est la répétition. A l’image de l’apprentissage d’une langue, l’apprentissage numérique requiert de la pratique récurrente. Or, trop souvent, la formation cesse à la dernière minute d’un accompagnement présentiel. S’entraîner et répéter permettent un meilleur apprentissage.
Comme le rappelle Marion Tourbillon, « les processus sont longs. Plus les parcours pédagogiques ont été faits, multipliés, refaits… plus [les apprenants] maîtrisent les concepts. Et comme tu ne peux pas suivre tout le monde dans un groupe de 20 personnes, il faut absolument les amener à un moment vers l’autonomie – et l’autoformation ».
Lien utile :
- Le livre blanc de International Learning & Development Institute : « Neurosciences et formation professionnelle : Vers le neurolearning »
Pourquoi proposer l’autoformation aux personnes en fragilité(s) numérique(s) ?
« L’exclusion numérique passe avant tout par une incompréhension de la machine, estime Marion Tourbillon. Pourquoi y a-t-il une incompréhension de la machine ? Parce que la plupart du temps, l’interface utilisateur n’a pas été pensée. (…) Si ceux qui ont et maîtrisent les outils [numériques] ne passent pas par une transformation, les autres n’y auront jamais accès : c’est une branche complète d’éducation qui devrait être dédiée à l’autoformation selon moi ».
Argument 1 – Assurer une continuité dans l’accompagnement
Comme pour l’usager de la médiathèque Canopée la Fontaine cité en introduction, il est facile d’oublier les enseignements d’une formation s’ils ne sont pas réactivés ensuite. Pour les structures d’accompagnement autant que pour les apprenants, cela peut signifier faire le même travail deux fois.
En la matière, l’autoformation permet de s’entraîner en dehors de la structure et d’éviter de perdre les compétences et les connaissances acquises lors d’un accompagnement (individuel ou collectif). Cela peut également être une bonne opportunité pour suivre la progression des apprenants.
L’espace apprenant :
Sur Les Bons Clics, il existe un espace dédié aux apprenants. Pour y accéder, la personne a besoin d’un numéro de téléphone ou d’un mail et d’un mot de passe. On vous explique tout dans cette vidéo destinée aux apprenants.
Le saviez-vous ? Avec cet espace, vous pouvez rattacher des comptes apprenants à votre structure et suivre l’avancée des personnes que vous accompagnez dans la consultation des modules.
Argument 2 – Outrepasser les contraintes de temps et de mobilité
Il peut être difficile de libérer du temps pour certains publics (les personnes cumulant des emplois précaires, les familles monoparentales…), ce qui les empêche de bénéficier d’un accompagnement au numérique dans la durée. « Rien ne coûte plus cher que du temps aujourd’hui, estime la conseillère numérique Marion Tourbillon. Et si, à deux heures du matin, quelqu’un n’arrive pas à dormir et qu’il veut se former, c’est possible. Ça ne l’était pas il y a dix ans : c’est quand même remarquable ! »
D’autant que contraintes de temps s’appliquent également à certaines structures, comme les SIAE (structures d’insertion par l’activité économique) : dégager du temps de formation numérique peut impliquer des réorganisations difficiles à mettre en œuvre. Proposer un premier contenu concret à découvrir en autonomie peut alors être une alternative utile pour vos apprenants.
C’est aussi pour ces derniers l’opportunité d’apprendre depuis leur domicile, et d’éviter d’avoir à se déplacer – notamment en zones rurales, sous réserve d’accès à une connexion.
Autoformation : contenus et prescription
Avant de prescrire l’autoformation, Marion Tourbillon estime qu’une « première rencontre est nécessaire pour évaluer si la personne a la capacité d’aller elle-même sur les outils. Par exemple, mon public n’est pour l’instant pas capable de réunir les informations trouvées sur des sujets de formation. Mais il est déjà capable de flâner à gauche à droite ».
Et s’ils ont un minimum d’autonomie, il s’agit alors d’inviter les apprenants à réfléchir à leurs centres d’intérêts et à « faire des recherches à ce sujet parce qu’on trouve énormément de choses : ils arrivent avec un problème, il faut absolument qu’ils repartent avec une envie, sinon ils feront jamais de numérique ! », poursuit-elle. « En général, les personnes qui viennent [nous voir] viennent pour des démarches administratives. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils sont là : ils sont là pour au final être familiarisés avec leurs outils et pouvoir enfin chercher ce qui les branchent. L’autoformation, c’est ça : choisir ce que tu fais ! ».
Ce n’est qu’ensuite qu’il s’agira de proposer des activités à réaliser en autonomie. Cela peut concerner :
- Des activités d’évaluation des connaissances, en amont autant qu’en aval d’une formation.
Exemples : l’indicateur Les Bons Clics et tous les quiz en fin de formation.
- Des activités d’apprentissage, à savoir la découverte de notions avant ou après un temps d’accompagnement ;
- Et des activités d’entraînement, permettant de revenir sur des notions via la pratique.
Exemples : Les exercices ludiques Les Bons Clics.
Lors d’un webinar dédié à l’autoformation, nous avons demandé aux participantes et participants s’ils avaient déjà donné des devoirs à faire à leurs publics après un accompagnement. Parmi leurs réponses : - « Appeler sa petite fille en visio ! » - « Un quizz pour vérifier s'ils ont bien compris l'atelier » - « Après avoir créé la boite mail, il fallait envoyer un mail par téléphone avec une PJ scannée via Camscanner » - « Construction de son budget personnel sur Excel » - « Faire prendre une photo à la maison, la télécharger et me l'envoyer par mail » - « Utiliser Whatsapp avec son ami » - « Faire une annonce sur Leboncoin »
Un second tri des activités peut être effectué selon la qualité des ressources et leur adaptation au public. Marion Tourbillon, elle, « fabrique un parcours numérique – sur des ressources existantes ou non – spécifique à chaque groupe [qu’elle] rencontre ». Si elle créait des ressources en tant que formatrice numérique, elle réalise et partage aujourd’hui des fichiers avec tous les liens qu’elle juge utiles – comme les exercices Les Bons Clics pour le parcours des grands débutants.
L’autoformation peut également servir de réponse aux personnes qui la contactent par mail, avec quelques éléments pour guider et d’autres ressources pour creuser au besoin.
Liens utiles :
- Les Guêlôts, pour retrouver les ressources créées par Marion Tourbillon
- L’espace apprenant des Bons Clics
7« Tout ça, c’est une aventure, un chemin, une promenade. C’est comme quand on va au marché : on espère rencontrer des choses sur le chemin qui vont éblouir nos yeux et nos sens. Là, on y va que parce qu’on est obligé d’aller chercher du bois à mettre dans le poêle… C’est bien, au moins on est chauffé avec du bois… Mais ce n’est pas vraiment une démarche de béatitude et d’épanouissement, alors que le net c’est rien d’autre que des chemins, des routes, des adresses, des terrains et des constructions dessus. C’est la même chose pour moi : on peut s’y promener, ou complément flipper, ça dépend comment on préfère voyager ».
Marion Tourbillon, conseillère numérique depuis octobre 2021 dans la communauté de communes du Grand Charolais :
L’AUTOFORMATION
J’ai lu avec attention l’autoformation qui est l’objet de mon projet.
Accompagner les femmes et les jeunes en difficultés face à l’utilisation des outils numériques.
L’ idée est de mettre à disposition des outils recyclés à domicile pour les débutants afin de se familiariser.