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« Les bibliothèques s’occupent d’inclusion numérique car elles s’occupent avant tout d’inclusion sociale » – Malik Diallo (BBF, 2020)

En 2018, le ministère de la Culture a officiellement donné aux bibliothèques le rôle de « favoriser l’inclusion numérique et les actions menées dans le champ social ». Une mission qui, dans la pratique, avait déjà été adoptée par de nombreuses bibliothèques et médiathèques.

« A la fin des années 2000, on retrouve de plus en plus de bibliothécaires dans les rencontres nationales [des] réseaux [d’acteurs de l’inclusion numérique], comme le Forum des usages coopératifs de Brest, ou les Assises de la médiation numérique », explique en effet Carole Duguy, référente numérique du réseau des médiathèques-ludothèque en Loire Forez, dans le Bulletin des Bibliothèques de France (2020).

La médiation numérique semble ainsi s’être greffée spontanément aux premières missions des bibliothèques, qu’une loi de décembre 2021 résume en ces mots : « les bibliothèques des collectivités territoriales(…) ont pour missions de garantir l’égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ainsi que de favoriser le développement de la lecture ».

Comment les bibliothèques et les médiathèques se sont-elles emparées de la médiation numérique ? Quelle est le périmètre de leurs actions, et quand orienter vos publics vers ces dernières ? 

Photo de l'accueil de la médiathèque Canopée la Fontaine
Entrée de la médiathèque Canopée la Fontaine, dans le premier arrondissement de Paris.

Inclusion et médiation numériques en bibliothèque

L’Observatoire de la Lecture Publique estime qu’en 2016, la France comptait 8100 bibliothèques, auxquelles s’ajoutaient 8400 points d’accès au livre. A noter que, pour l’ENSSIB (école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), « les termes bibliothèque ou médiathèque sont en réalité interchangeables, la plupart des établissements proposant une pluralité de supports ». 

L’une d’entre elles, la médiathèque Canopée la Fontaine, a ouvert ses portes en 2016 et s’intéresse à depuis sa création à l’inclusion et à la médiation numériques. Dans le Forum des Halles, à Paris, elle organise des ateliers numériques collectifs et des rendez-vous individuels « à la carte » d’une heure. 

« Pour ces activités, explique Elsa Le Guével, chargée des services numériques à la médiathèque, nos publics sont principalement des personnes âgées, mais pas uniquement. Nous recevons quelques personnes apprenant la langue française ou des personnes plus jeunes avec un nouvel équipement ». Les ateliers collectifs sont réalisés en partenariat avec l’association Kocoya, qui y organise des cycles de formation de 10 séances à destination des séniors. 

Pour l’accompagnement individuel, environ six créneaux sont proposés chaque mois. L’inscription peut se faire en ligne ou à l’accueil auprès des agents de la médiathèque. « Nous essayons de varier les créneaux pour permettre à tout le monde de venir, notamment hors des heures de travail », précise Elsa Le Guével. Ces ateliers sont également proposés en langue des signes française, la médiathèque étant pôle d’accueil pour le public sourd.

Naturellement, les besoins des bénéficiaires pour ces rendez-vous peuvent varier. Ce jeudi 30 juin, Jacques*, un usager de la médiathèque, ne parvenait plus, par exemple, à transférer ses fichiers directement de son téléphone à son ordinateur. 

S’il avait amené son matériel, la médiathèque dispose également d’ordinateurs en libre accès, d’un point d’accès Wi-Fi et de prises. « Les prises sont très utilisées, notamment par nos publics les plus précaires, commente Elsa Le Guével. Nous allons à en ajouter ».

« A côté de tout ça, poursuit-elle, il y a plein d’autres usages plus créatifs. Il y a des temps de jeux vidéo les mercredis après-midi, qui touchent plutôt des enfants d’entre 7 et 12 ans. On a également un découpe-vinyle, une imprimante 3D, un drone… Beaucoup d’équipement dont nous nous servons plus ponctuellement ». 

« Les bibliothèques s’occupent d’inclusion numérique car elles s’occupent avant tout d’inclusion sociale. De là, développer de l’inclusion numérique passe par la création d’inclusion sociale. C’est-à-dire du lien social, de la cohésion sociale, du vivre ensemble, du faire ensemble, à partir des défis posés par la société numérique : le défi de l’objet informatique ; le défi du numérique comme sujet de société ; le défi du numérique comme moyen d’action »

Malik Diallo, Président de l’ADBGV (Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France) et directeur des bibliothèques municipales et de la bibliothèque des Champs Libres de Rennes (Bulletin des Bibliothèques de France, 2020)

*Le prénom a été changé

Travail en réseau

C’est à la bibliothèque du troisième arrondissement de Paris que Jacques a entendu parler des ateliers à la carte. « J’avais fait un atelier numérique là-bas il y a longtemps, détaille-t-il. Quand j’y suis retourné pour avoir de l’aide, ils m’ont conseillé de venir ici ».

Le réseau de la médiathèque Canopée la Fontaine s’étend également aux structures alentour. Une cartographie de ces dernières permet aux agents d’orienter leurs publics pour des besoins plus spécifiques. « Il y a par exemple des structures d’accueil bilingue, d’autres plutôt centrées sur les démarches administratives et capables de faire à la place de… Nous renvoyons des personnes vers ces dernières, et elles nous renvoient régulièrement des personnes sourdes et/ou malentendantes », commente Elsa Le Guével. 

« Les bibliothécaires ont été confrontés à d’autres rythmes et à d’autres réalités : cette mixité les a fait grandir, c’est certain. D’un autre côté, beaucoup de ces acteurs ont découvert les bibliothèques, fortes de leur proximité avec les usagers partout en France, et de leur modèle de service public ouvert, sur lequel s’appuyer ».

– Carole Duguy, référente numérique du réseau des médiathèques-ludothèque en Loire Forez (Bulletin des Bibliothèques de France, 2020).

Malik Diallo – Président de l’ADBGV (Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France) – notait en 2020, dans le Bulletin des Bibliothèques de France, la présence d’un « double discours [dans les échanges chez les professionnels] : souligner le fait que les bibliothèques sont très sollicitées et ont un rôle à jouer sur ce sujet, mais qu’elles ne peuvent aller au bout de l’accompagnement de ces publics sur des problématiques de travail social. La réflexion invite à des partenariats avec d’autres acteurs : travailleurs sociaux, mais aussi administrations ».

Pour autant, les frontières sont parfois poreuses entre l’accompagnement proposé en bibliothèque et celui des travailleurs sociaux et des administrations, comme en témoignent les déclarations de Laurène Pain-Prado à Libération en 2018. Alors responsable du numérique pour une bibliothèque de Bobigny, cette dernière indiquait que, « quand les usagers parlent un peu français et que leur situation n’est pas trop compliquée, la CAF ou Pôle Emploi les aident. Sinon… Souvent, les gens nous disent eux-mêmes qu’ils ont été orientés vers nous par les services sociaux, les conseillers CAF ou Pôle Emploi. J’ai coutume de dire qu’on est des Bisounours en bibliothèque. On n’a pas un rapport administratif aux gens et c’est souvent dans cette brèche qu’ils s’engouffrent ». 

« Cultures numériques »*

L’intégration du numérique dans les activités d’acteurs culturels donne un périmètre large aux actions menées par les bibliothèques. Aussi, pour deux des rédacteurs de l’étude Capital Numérique, Philippe Archias et Solène Manouvrier, «[la] fonction de médiation des bibliothèques ne s’applique pas qu’au numérique tel qu’il existe. Elle peut et doit s’appliquer au monde numérique tel qu’il est en train de se construire » (BBF, 2020). 

Une nuance qui se reflète à la médiathèque Canopée la Fontaine. En 2021, elle organisait par exemple une semaine de stage pour des adolescents, en partenariat avec la Direction de la Jeunesse et des Sports : les matinées étaient dédiées au sport, et les après-midis à son pendant virtuel. « La semaine se concluait sur un grand tournoi “Hado”, qui est un jeu en réalité augmentée. On est équipé d’un téléphone devant les yeux et d’un autre sur les bras, et on se lance des boules de feu, comme pour une balle au prisonnier ». 

Depuis l’année dernière, cette médiathèque se penche également sur le développement durable et la sobriété numérique. Suite à un temps d’échange animé par la Direction de l’Action Culturelle, en lien avec le service inclusion numérique, les agents de la médiathèque ont revu leur manière de travailler en interne, notamment au travers de l’achat et de l’entretien du matériel. Du côté des publics, elle propose également des ateliers dédiés, inspirés de ceux de la Souris Grise, pour sensibiliser à ces questions. 

« Enfin, les bibliothèques peuvent aussi être des espaces de déconnexion. Pas pour tout le monde et pas tout le temps, mais elles peuvent être utilisées par chacun à loisir comme espaces de la non-injonction technologique. (…) La bibliothèque est aussi un lieu de contact humain et de rencontre recherché comme tel. Si le numérique exclut, l’humain peut réunir et il n’est parfois pas nécessaire de passer par une expérience numérique pour ce faire, cela va de soi ».

– Malik Diallo, Président de l’ADBGV (Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France) et directeur des bibliothèques municipales et de la bibliothèque des Champs Libres de Rennes (Bulletin des Bibliothèques de France, 2020)

*Extrait d’un billet de 2015 du blog de la médiathèque Canopée la Fontaine : « L’équipe de la médiathèque vous proposera régulièrement des contenus pour décrypter et mieux comprendre tout ce qui a trait aux cultures numériques ».


L’ENSSIB, l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, propose à ces égards différentes ressources :

Cet article sur les bibliothèques a été financé dans le cadre du plan France Relance.
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