Collectivités : les clés d’une dématérialisation inclusive
Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec la Région Île-De-France.
Davantage de flexibilité, de disponibilité, de simplicité, le tout en moins de temps et pour un coût allégé : les avantages du numérique sont multiples, et il aura fallu peu de temps pour que tous les territoires – ou presque – s’en saisissent.
Si la dématérialisation de l’accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi et aux droits a amélioré l’accessibilité des services publics pour une grande partie de la population, il demeure essentiel de veiller à leur continuité pour les treize millions de Français en difficulté avec le numérique. Le rôle des collectivités territoriales est primordial pour résorber cette fracture.
Les limites de la dématérialisation
Le programme Action Publique prévoit la dématérialisation complète des démarches administratives d’ici 2022. Lancé en 2017, il répond à trois objectifs principaux. D’abord, il doit permettre l’amélioration des services publics pour les usagers, en mettant l’accent sur la simplification et la flexibilité des démarches en ligne. Ensuite, il s’agit de moderniser l’environnement de travail des agents publics, le tout en réalisant des économies (de l’ordre de trois points de PIB).
Les collectivités se retrouvent toutefois confrontées à deux défis majeurs dans leur transformation numérique. D’un côté, la dématérialisation des démarches administratives ne profite pas aux personnes en difficulté avec le numérique, faute d’accès ou de savoir-faire. D’autre part, les recours de ces dernières se trouvent limités par le transfert des lieux d’accueil et d’accompagnement (écoles, services de santé…) vers les métropoles.
Aussi, alors que près de 20% des Français se sentent capables d’effectuer leur première démarche en ligne à condition d’être accompagnés, les premiers contacts avec l’administration (prise de rendez-vous, demande de renseignements…) passent par des interfaces numériques. Comme le note le sociologue Pierre Mazet, « la relation administrative devient ainsi majoritairement numérique, le contact ”humain” (téléphonique ou physique en face à face) constituant une voie seconde et complémentaire des démarches en ligne ».
Dans cette dématérialisation « à marche forcée » mise en avant par le Défenseur des droits, les recours des personnes non-autonomes numériquement semblent infimes. Ceux des collectivités territoriales, en revanche, ne le sont pas.
Mener une dématérialisation inclusive à l’échelle des collectivités
Pour que tous les citoyens puissent profiter des avantages du numérique, les collectivités territoriales occupent un rôle crucial et parfois mis de côté. En 2018, une enquête de la Banque des Territoires auprès de 137 directeurs généraux de services (DGS) d’intercommunalités concluait ainsi que 87% n’avaient pas de « feuille de route précise associée au digital ». En cause, le manque de budget (62% des répondants) et le manque de portage politique (46%).
L’impulsion politique
L’enquête de la Banque des Territoires identifie ainsi plusieurs leviers pour entreprendre une transformation numérique inclusive dans les territoires, le premier desquels étant une vision politique claire : « l’impulsion politique est ressentie comme le point fort pour la mise en œuvre des feuilles de route des projets digitaux ».
Cet élan doit notamment se traduire par :
- L’intégration de toutes les parties prenantes concernées. S’ils forment un écosystème hétérogène, la coopération d’acteurs privés et institutionnels est essentielle dans la transformation numérique d’une collectivité. A cet égard, les universités peuvent permettre de tisser des liens entre la société civile, les opérateurs de télécommunication, d’énergie, de transport, d’environnement, les promoteurs, les bureaux d’études, les laboratoires, les autres collectivités, …
- La mise en place d’une équipe pluridisciplinaire, mêlant des expertises techniques, financières, juridiques et méthodologiques, et centrée sur les besoins des citoyens. Il convient à cet égard d’y intégrer les agents et les services en lien avec les citoyens, et les services techniques en charge de la création des démarches.
- Le maintien d’un accompagnement humain comme alternative à toute dématérialisation.
« Le relatif engagement des élus, faute de compétences, de conviction, de craintes sur le sujet, implique que le projet est plutôt porté par l’administration, devenant plus technique que stratégique. »
Julien Batac (Maître de conférences à Bordeaux) et Christophe Maurel (professeur en sciences de gestion à Angers) dans The Conversation
Débloquer du budget
En matière budgétaire, le Plan de relance du gouvernement comprend une enveloppe de 88 millions d’euros dédiée à la transformation numérique des collectivités, répartie en trois axes majeurs :
- 24 millions d’euros seront alloués le long de trois vagues d’appels à projets en lien avec l’expérience des usagers, les données ou la coopération ;
- 34 millions d’euros seront directement distribués par les préfets aux petites et moyennes collectivités ;
- Les 30 millions restants seront consacrés à la « co-construction des projets ».
Le déploiement de 4000 conseillers numériques formés par l’Etat peut également permettre d’accompagner les citoyens dans la dématérialisation. Depuis début mai, la ville de Strasbourg et la Caisse des Allocations Familiales du Bas-Rhin organisent par exemple des permanences (sans rendez-vous) afin d’accompagner les allocataires de l’institution dans leurs démarches en ligne.
D’abord animées par des services civiques, ces permanences seront ensuite pilotées par des conseillers numériques recrutés par la ville. L’État accompagne les structures d’accueil de ces conseillers sous forme de subvention, permettant de rémunérer les conseillers au SMIC pendant deux ans, date à partir de laquelle les structures d’accueil devront rémunérer eux-mêmes leurs conseillers.
Co-construire la dématérialisation
Aussi, moins d’un quart des répondants à l’enquête de la Banque des Territoires déclarent inclure les citoyens dans la conception de nouveaux services digitaux, tandis que plus de la moitié confient ne jamais les solliciter. La mise en place d’un service de médiation, à l’instar des tiers-lieux comme la Quincaillerie Numérique (Guéret, dans la Creuse) ou le Faitout Connecté (Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt, dans l’Aisne), peut devenir un espace de collaboration avec les citoyens, et leur redonner de la proximité et de la confiance vis-à-vis du numérique. A Clamart, l’hôtel de ville est ainsi devenu un espace d’accueil des citoyens dans le besoin, et de médiation entre ces derniers et la fonction publique.
L’organisation d’événements ouverts à tous les citoyens représente également une option simple à saisir pour les impliquer dans la dématérialisation d’une collectivité. En 2016, la communauté d’agglomérations du Sicoval – depuis devenue un des territoires de référence en matière d’inclusion numérique – lançait par exemple une rencontre-débat autour du numérique comme levier de la participation citoyenne.
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