[Article participatif] Parentalité et numérique : comment accompagner ?
Cet article a été réalisé en partenariat avec la Fondation AFNIC et fait partie d’un projet destiné à aider les acteurs sociaux dans l’accompagnement des parents à l’ère du numérique.
« Le numérique n’est pas une sphère fermée. C’est un lieu de vie dans lequel les parents doivent reprendre un peu de place et de pouvoir », déclarait récemment le psychologue Samuel Comblez au média Les Bons Clics.
Cette place et ce pouvoir à reprendre peuvent notamment passer par une compréhension et une connaissance accrues du numérique et de ses impacts – d’autant plus pour les parents qui en sont éloignés.
Face à un fort besoin d’accompagnement, nombreux sont les acteurs de la médiation sociale et numérique ayant investi le thème de la parentalité à l’ère du numérique.
C’est autour de cet enjeu que trois d’entre elles ont accepté de témoigner pour le média Les Bons Clics.
Par ordre alphabétique :
- Marie Delorme, chargée de mission pour le CRIA 45, à Orléans ;
- Elea Ostalowski, conseillère numérique France Services au CCAS de Vitry-Le-François (51) ;
- Marine Schilling, conseillère numérique France Services et promeneur du net à la Ligue de l’Enseignement Charente-Maritime.
Les Bons Clics : Depuis quand, et pourquoi vous intéressez-vous au thème de la parentalité à l’ère numérique ?
Elea Ostalowski : Depuis le début de ma prise de poste, en septembre 2021, car c’est un gros sujet qui touche toute la population.
Marie Delorme : Cela fait 2 ans que le CRIA45 met en œuvre des ateliers numériques à destination des parents de QPV (ndlr : quartier prioritaire de la politique de la ville) dans le cadre du dispositif Cité Éducative. C’est dans ce contexte que nous nous sommes emparés de la question de la parentalité dans le numérique. Dans la Cité Éducative, ces ateliers visent à soutenir les parents dans l’accompagnement des usages numériques de leurs enfants.
Marine Schilling : Ma prise de poste en octobre dernier a été l’occasion pour moi de m’intéresser de près à ce sujet. En effet, dès le début de ma mission, j’ai été chargée de proposer un programme d’interventions en lien avec cette thématique.Par la suite, j’ai rejoint le réseau des Promeneurs du Net Parentalité. Toutes les semaines, je propose aux parents des contenus informatifs sur Instagram et Facebook.
Les Bons Clics : Qu’est-ce que recouvre cette thématique pour vous ?
Elea Ostalowski : Pour moi, cette thématique recouvre les dangers du numérique pour les enfants, la sensibilisation et la prise de conscience pour les parents de ces risques, et le manque de connaissances des parents sur les outils existants.
Marie Delorme : On recouvre non seulement l’accompagnement des parents dans l’usage numérique de leurs enfants, mais aussi l’autonomie des parents.
Marine Schilling : Beaucoup de choses, notamment :
- La gestion du temps d’écran en famille
- L’éducation aux médias et à l’information
- L’accompagnement dans la découverte d’Internet et des réseaux sociaux
- La prévention des risques (cyberharcèlement, exposition à des contenus choquants, e-réputation, arnaques en lignes…)
Les Bons Clics : Qui sont vos publics pour cette thématique en particulier (âge, niveau de maîtrise du numérique, motivations…) ?
Elea Ostalowski : J’accompagne des adultes d’entre 25 et 45 ans, avec des enfants, et de tout niveau numérique. Ces adultes sont motivés par l’impression d’une perte de contrôle, le dépassement des événements numériques de leurs enfants, la volonté de les protéger, et/ou encore la supervision de leurs enfants sur les outils numériques.
Marie Delorme : Des parents des QPV, des parents d’élèves de la maternelle au collège, qui sont en cours d’apprentissage de la langue française. Ce ne sont que des femmes qui ne sont pas à l’aise avec le numérique.
Marine Schilling : Pour l’instant, j’ai eu l’occasion d’intervenir auprès de parents de collégiens, en milieu rural. Ces mamans – je n’ai vu aucun papa – avaient un niveau de maîtrise correct du numérique (capables de naviguer sur Internet, d’envoyer/recevoir des mails et d’utiliser certains réseaux sociaux).
Il s’agissait exclusivement de mamans très concernées par le sujet de la parentalité numérique. Ces dernières avaient déjà mis beaucoup de choses en place de leurs côtés. Mon ressenti est qu’elles recherchaient davantage une validation et de la réassurance que des conseils (puisqu’elles étaient déjà très bien renseignées).
Les Bons Clics : Comment les accompagnez-vous : en individuel ou en collectif ? Le temps d’une séance ou le long d’un cycle de formation ? A quels horaires
Elea Ostalowski : J’accompagne à la fois en individuel – pour ceux qui « n’osent pas » expliquer leurs difficultés face à d’autres – et en collectif, quand les partenaires de la ville me demandent une intervention à ce sujet (suite à des demandes de parents, des constats d’utilisation…).
Plusieurs séances sont bien souvent nécessaires. Avec 1 heure par séance, il en faut minimum 3 pour faire le tour de la thématique, mais le cycle de formation peut être plus long si les ateliers sont enrichis par d’autres demandes en lien avec cette thématique.
Marie Delorme : Nous les accompagnons en collectif, avec un parcours de 4 séances de 2 heures – en fonction des heures scolaires.
Marine Schilling : J’organise des ateliers collectifs, le temps d’une séance (même si les participants pouvaient s’inscrire à plusieurs ateliers, ce qui a été le cas d’une participante).
J’ai proposé des séances d’1 heure, sur deux créneaux (17h-18h et 18h-19h). Chaque séance était l’occasion d’aborder un sujet particulier en profondeur. J’ai limité ces séances à 1 heure, car pour beaucoup de parents, cela peut être compliqué de se libérer plus longtemps. Le créneau 18h-19h a beaucoup mieux fonctionné, étant plus en adéquation avec les horaires des parents qui travaillent.
Les Bons Clics : Quels sont vos objectifs : sensibiliser vos publics (ex : principaux risques du numérique pour les enfants), leur transmettre des outils (ex : le contrôle parental), les faire réfléchir sur la posture (ex : parler du numérique en famille) ?
Elea Ostalowski : Les 3 sont importants et se complètent : sensibiliser aux risques permet de réfléchir à la posture et de transmettre des bonnes pratiques. Plus largement, mon objectif est de leur faire établir eux-mêmes des règles d’utilisation simples et respectables dans leur foyer.
Les Bons Clics : Quelles sont les questions et les difficultés les plus fréquentes de vos publics sur cette thématique ?
Elea Ostalowski : Quelques questions récurrentes :
- Comment maîtriser les écrans des enfants ?
- Comment aborder le sujet sans s’énerver ?
- Comment comprendre les besoins des enfants ? Les parents n’avaient pas ces outils à leur époque et ne comprennent pas que les enfants ne soient pas « épanouis » sans ces outils.
Du côté des difficultés :
- Les parents ont du mal à jauger le temps d’écran de leurs enfants car eux-mêmes n’arrivent pas à limiter leur propre utilisation
- Les parents peuvent minimiser les dangers des réseaux sociaux et leurs impacts
- La non-maîtrise des outils numériques ne leur permet pas de comprendre ou d’éviter de se laisser berner par les enfants. Par exemple : ils ne savent pas couper le Wi-Fi, ou pensent l’avoir coupé alors que les enfants ont une connexion 4G 100 Go, ils communiquent les mots de passe aux enfants…
Bien souvent, des exemples concrets permettent de surmonter ces barrières. On peut également leur faire faire des exercices (comment bloquer le téléphone via appli de contrôle parental, bloquer les connexions via les applis des fournisseurs internet), ou les sensibiliser sur d’autres appareils que le smartphone (on prive de smartphone mais pas la tablette pensant qu’il ne s’en sert plus)…
Marie Delorme : Les parents veulent mieux comprendre l’utilisation du numérique par leurs enfants.
Marine Schilling : J’ai observé qu’il était compliqué pour certains parents de lâcher prise et d’accepter qu’ils ne peuvent pas tout contrôler/border pour sécuriser leur enfant.
Les Bons Clics : Après votre accompagnement, quels sont les retours de vos publics ?
Elea Ostalowski : Les parents se sentent plus armés, rassurés et confiants sur l’utilisation d’applications de contrôle.
Marie Delorme : Les apprenants gagnent en autonomie, et expriment une profonde satisfaction en mettant en pratique ce qui a été vu durant le cours (exemple : cours sur le mail, les parents envoient par la suite un mail).
Marine Schilling : Les participantes étaient très satisfaites. Elles ont apprécié les ateliers en eux-mêmes, mais aussi les temps d’échanges qu’ils ont permis. Le partage d’expériences entre parents a été riche.
Les Bons Clics : Avez-vous déjà proposé aux parents de prolonger leur apprentissage chez eux ?
Elea Ostalowski : Pas encore, mais je l’envisage pour le prochain atelier.
Marie Delorme : Je propose de temps en temps aux parents d’utiliser chez eux Faminum.
Marine Schilling : Je les ai orientés vers des ressources tierces (Internet Sans Crainte, l’OPEN, e-Enfance…).
À la fin de l’atelier sur la gestion du temps d’écran en famille, je leur ai également proposé de créer la charte numérique de leur famille sur Faminum.
Les Bons Clics : Que serait, selon vous, un accompagnement à la parentalité numérique réussi ?
Elea Ostalowski : Que les parents soient sereins sur leur utilisation du numérique, et sur celles de leurs enfants – et que, malgré toutes les évolutions numériques, ils ne perdent ni la maîtrise ni le contrôle. Qu’ils arrivent à monter ensemble avec leurs enfants les « règles d’or du numérique » et que ces règles perdurent dans le temps !
Marie Delorme : Leur donner une autonomie sur l’usage des compétences numériques de base et mieux les outiller.
Marine Schilling : Un accompagnement bienveillant, en souplesse, laissant de la place aux échanges et aux partages d’expériences des participants. Pour moi, il est aussi très important de rassurer les parents sur leurs capacités à accompagner leurs enfants sur le numérique (certains ont peu confiance en eux à ce sujet).
