André Taboni, Créa-Sol (microcrédit) : “Le numérique nous permet d’apporter une réponse beaucoup plus rapide aux personnes en situation de fragilité”
Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec La Banque Postale.
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Moins connu que le microcrédit professionnel, le microcrédit personnel est un dispositif d’inclusion financière permettant à des personnes accompagnées par un organisme social de disposer d’un crédit facilitant leur accès ou maintien dans l’emploi. Un crédit qui, malgré la situation budgétaire tendue des bénéficiaires, est remboursé dans 90% des cas. Si 21 357 microcrédits ont été accordés en 2021 en France (un chiffre en hausse de 7,2%), le plein potentiel de cette solution sociale d’accès au financement semble loin d’être atteint.
Quel est l’impact social du microcrédit personnel ? Quels sont les freins à sa diffusion massive ? Est-ce que le numérique pourrait jouer un rôle dans le développement de l’accès à ce dispositif ? Autant de questions que nous abordons avec un expert du microcrédit personnel : André Taboni, directeur du réseau du microcrédit particulier et du partenariat social chez Créa-Sol.
Pour commencer, pourriez-vous présenter l’action de Créa-Sol ?
Créa-Sol est un institut de microfinance qui a été créé en 2005 à Marseille par la Caisse d’Épargne. Sa vocation première a d’abord été le microcrédit professionnel, puis nous avons développé le microcrédit personnel grâce au soutien de La Banque Postale et de La Poste. Nous finançons environ 500 dossiers de microcrédit professionnel et 1500 à 2000 dossiers de microcrédit personnel par an. Pour cela nous disposons d’une dizaine d’agences sur le territoire métropolitain et sommes également implantés en Guadeloupe et à la Réunion.
Justement, concernant le microcrédit personnel, pouvez-vous expliquer comment ce dispositif – moins connu que son homologue professionnel – fonctionne ?
Le microcrédit personnel permet d’obtenir un financement compris entre 300 et 8000€ et est principalement utilisé pour soutenir des projets liés à la mobilité (achat ou réparation de véhicules). La particularité du microcrédit personnel est qu’il est nécessaire de bénéficier d’un accompagnement social pour solliciter cet emprunt, accompagnement qui se poursuit tout au long du remboursement.
Concrètement, le référent social de la personne qui fait une demande de microcrédit nous communique un certain nombre d’informations (identiques à celles demandées pour un crédit à la consommation) à l’aune desquelles le dossier est accepté ou pas. Toute cette procédure est dématérialisée : le numérique nous permet d’apporter une réponse beaucoup plus rapide qu’avant (48 heures) à des personnes qui sont souvent en situation d’urgence.
Le microcrédit personnel est présenté comme un outil d’inclusion financière et sociale. Quel est l’impact concret de ce dispositif ?
Nous avons mené deux études d’impact social ces six dernières années en interrogeant près de 2000 clients qui avaient obtenu un microcrédit via Créa-Sol. Résultat : 85% nous ont dit que le microcrédit personnel les avait aidés à “sortir la tête de l’eau”. Ce à quoi sert le microcrédit, principalement, c’est le maintien dans l’emploi : 8 personnes sur 10 ont ainsi pu conserver une solution de mobilité et donc leur poste. De manière plus marginale, cela permet à certaines personnes d’accéder à un nouvel emploi pour lequel il est nécessaire de pouvoir se déplacer.
Pour vous donner un exemple concret : ce matin, une personne qui travaille en tant qu’aide-ménagère et doit se rendre dans trois lieux de travail différents a sollicité un microcrédit de 3000€ afin de réparer sa voiture qui venait de tomber en panne. Sans ce véhicule, elle ne pourrait tout simplement plus travailler.
Beaucoup de voix dans le monde social et politique (je pense notamment au rapport du député Philippe Chassaing en 2021) semblent dire que l’on n’a pas atteint le plein potentiel du microcrédit personnel. Qu’est-ce qui limite la diffusion du microcrédit ?
Depuis 2006, il y a eu à peu près 200 000 microcrédits personnels qui ont été réalisés alors qu’on estime que 6 millions de ménages en France y sont éligibles. On est donc très loin du compte. La raison est que le microcrédit est d’abord une activité sociale, portée avec des structures associatives, qui ne répond de fait pas aux critères de rentabilité caractéristiques du monde bancaire. Dans l’industrie de la banque de détail, les acteurs sont tenus de faire de gros volumes pour pouvoir atteindre la rentabilité, ce qui nécessite le recours à des processus de plus en plus algorithmiques et automatisés. C’est à l’opposé de la logique du microcrédit qui demande une approche sur-mesure. D’où son développement relativement modeste.
Qu’est-ce qui pourrait développer l’accès au microcrédit personnel ? Et est-ce que le numérique peut jouer un rôle dans cette dynamique ?
Le premier levier est la coopération: il faut qu’il y ait des échanges resserrés entre les acteurs du microcrédit personnel (le pouvoir politique, les financeurs, les structures d’accompagnement et les bénéficiaires). Sur ce volet, les initiatives récentes autour de la Banque de France sont de bon augure : elle est depuis 2015 l’opérateur chef de file national sur l’inclusion financière et est à l’origine de la création des Conseils Départementaux d’Inclusion Financière, dont le rôle est de rassembler localement les acteurs concernés par le sujet. Cela a permis à certaines structures qui faisaient des choses assez similaires de se connaître et de mieux travailler ensemble.
Le deuxième axe de progression est digital : je crois beaucoup à l’utilité que pourraient avoir des plateformes numériques d’accompagnement à distance sur le microcrédit. Une première a été créée récemment par Crésus. Cela donne la possibilité à des bénéficiaires d’être directement orientés vers une plateforme par leur référent social, et ainsi d’être contactés, accompagnés et éventuellement orientés vers le microcrédit beaucoup plus rapidement et professionnellement. L’avantage est que cela permet à quiconque, de n’importe quel endroit du territoire, de trouver une réponse à son besoin.
La troisième piste de réflexion concerne l’élargissement des prescripteurs du microcrédit, au-delà des accompagnants sociaux. On pourrait par exemple imaginer que des employeurs nouent des partenariats avec des plateformes d’accompagnement au microcrédit afin que leurs employés puissent y avoir recours en cas de difficulté financière. Cela aurait comme effet d’élargir les profils des bénéficiaires de microcrédit à des personnes qui ont plus de chance d’y être éligible en comparaison à certains qui passent par l’accompagnement social mais sont en trop grande précarité pour pouvoir bénéficier de cette solution.
Les Bons Clics
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