Les défis de l’inclusion numérique en santé
La crise sanitaire et ses vagues de confinement ont bouleversé les usages du numérique en santé, qu’il s’agisse de la prise de rendez-vous en ligne ou de la consultation à distance. Comme le rappelle toutefois la campagne de vaccination, la dématérialisation de l’accès aux soins ne s’est pas faite sans heurt pour les publics éloignés du numérique.
Créé par la Croix Rouge Française, la Fondation Roche et WeTechCare, l’Observatoire de l’accès au numérique en santé publie aujourd’hui son premier rapport en la matière.
Numérique en santé : entre fracture numérique et déserts médicaux
Selon l’enquête d’Harris Interactive pour la Fondation Roche – menée en mars dernier auprès d’un échantillon représentatif de 2029 Français de 18 ans et plus –, un tiers des Français estime vivre dans un désert médical, tandis que la moitié déclare réaliser un long trajet pour pouvoir consulter un spécialiste.
Une grande majorité perçoit de grandes inégalités vis-à-vis du numérique et de l’accès aux soins : près de 6 Français sur 10 déclarent avoir dans leur entourage des personnes très éloignées du numérique, et près de 5 sur 10 des personnes très éloignées du système de soins.
Comme le souligne la Secrétaire générale de la Fondation Roche, Stéphanie du Boucher, « les publics éloignés du numérique ont pu pendant la crise sanitaire être plus éloignés des soins, notamment pendant le premier confinement qui a entraîné un changement radical des usages en santé. Le sujet est devenu encore plus palpable depuis le début de la phase de vaccination : les inscriptions se faisant en ligne, la question du numérique en santé devenait synonyme d’exclusion d’accès au progrès pour une partie de la population ».
La moitié des Français qui s’estiment défavorisés à l’égard du numérique se déclarent également défavorisés pour accéder aux soins. Un tiers des éloignés du numérique se déclarent aussi en mauvaise santé. Le regard de ces deniers vis-à-vis du numérique en santé est nuancé, mais ne conduit pas pour autant à son rejet. « L’acculturation [de ces publics] apparaît ainsi possible sans renverser des perceptions ou des usages, mais en les accompagnant davantage », précise l’Observatoire dans son rapport.
« On retrouve avec les questions d’accès au numérique en santé des problématiques similaires à celles de l’accès au numérique en général ; la santé a en revanche un caractère prioritaire qui rend particulièrement cruciale sa prise en compte dans les politiques d’inclusion numérique ».
Jean Deydier, fondateur de WeTechCare
Les 4 défis de l’inclusion numérique en santé
1. Une relation de confiance : le réseau PIMMS Médiation et la question des données
La mise en ligne et le partage des données de santé cristallisent de nombreuses craintes. A cet égard, si la majorité des répondants estiment que les bénéfices surpassent les risques, ce n’est pas le cas pour les personnes éloignées du numérique. Le rapport de l’Observatoire établit ainsi que « les personnes qui ont le sentiment de moins bien maîtriser les outils digitaux sont moins enclines que la moyenne à vouloir laisser l’accès à ces différents acteurs (ndlr : personnel de santé, services publics, acteurs privés) et ce quel que soit le type d’information mentionnée ».
« Les données de santé constituent un enjeu crucial pour les patients et sont parfois au cœur de leurs préoccupations. Ces derniers ont besoin d’être rassurés sur l’usage qui sera fait de leurs données de santé. (…) La confiance est donc cruciale pour permettre le partage des données de santé. »
Laurent Laluc, directeur délégué du centre hospitalier Rocher-Largentière, extrait du rapport de l’Observatoire
Pour Guillaume Lahoz, chargé de mission inclusion numérique au sein du réseau national PIMMS Médiation, « la proximité et le contact humain sont aujourd’hui indispensables à la réussite de toute politique d’inclusion numérique ». Le réseau PIMMS Médiation rassemble aujourd’hui 35 associations, dont les 79 points d’accueil en France sont animés par plus de 500 médiateurs en vue d’améliorer le lien entre services publics et habitants.
Les PIMMS (Point d’information médiation multi-services) accompagnent depuis 2015 les citoyens vers le numérique en santé (prise de rendez-vous de vaccination, création de compte Ameli ou de Dossier Médical Partagé…). Prenant l’exemple du lancement de l’application de Tous Anti Covid, le chargé de mission souligne la nécessité d’un « vrai effort de pédagogie » pour rassurer les publics éloignés du numérique autour de la « préservation du secret médical ».
2. Collaborer avec les professionnels de santé : l’hôpital tiers-lieu
Plus de 40% des Français ont adopté un service numérique suite à une recommandation d’un professionnel de santé. Ces derniers bénéficient en effet d’une large confiance de la part de leurs patients : 50% des Français accepteraient de partager toutes leurs données médicales et d’état civil à leur médecin traitant.
Un projet d’hôpital tiers-lieu a été expérimenté dans la Drôme : grâce à des médiateurs numériques, le séjour hospitalier y est devenu un moment privilégié de la formation au numérique, permettant aux patients d’être accompagnés vers le numérique pour leurs demandes les plus pressantes, et aux professionnels de santé de suivre des ateliers dédiés au numérique en santé. Selon l’Observatoire, « le projet devrait se lancer à plus grande échelle en 2021 dans d’autres hôpitaux ».
« De manière générale, les hôpitaux ne peuvent pas être les seules structures à faire de la médiation numérique en santé. Mais ils peuvent travailler en complément ou en partenariat avec les conseils départementaux qui mettent en place des actions à leur échelle ».
Laurent Laluc, directeur délégué du centre hospitalier Rocher-Largentière, extrait du rapport de l’Observatoire
3. Usages numériques en santé : aider les aidants et accompagner les citoyens
Plus de la moitié des Français déclarent aider régulièrement un de leurs proches vis-à-vis du numérique et des démarches en ligne, et 45% déclarent faire de même vis-à-vis de l’accès aux soins.
Bien souvent, ces aidants sont aussi aidés. L’Observatoire conclut ainsi que « l’échelle locale, la proximité, et l’approche individualisée des problématiques des citoyens sont des facteurs clés de succès » de l’inclusion numérique en santé.
Depuis mars 2016, les médiateurs santé de la ville de Roanne (Loire) vont directement à la rencontre des habitants des QPV (quartiers prioritaires de la ville) pour les rapprocher du système de soins grâce au numérique. Un des médiateurs santé impliqués dans le projet, Raphaël Delorme, considère que « malgré l’accumulation de ces inégalités, il est possible de réduire cette fracture en matière d’accès à la santé causée par le numérique. Il faut aider les territoires à se doter de plans locaux d’inclusion numérique avec un volet accès santé ».
« Dans le futur, il s’agira d’aller à la rencontre des citoyens et de débattre du numérique en santé. C’est un sujet qui monte, et qui a été nettement accéléré par la crise sanitaire. Les projets d’inclusion numérique en santé sont assez localisés à ce stade, et les solutions partent du terrain. Il s’agit maintenant de savoir quels projets peuvent passer à l’échelle »
Stéphanie du Boucher, secrétaire générale de la Fondation Roche, à WeTechCare
4. Sensibiliser : le numérique en santé au-delà de l’intérêt individuel
L’enquête d’Harris Interactive met également en avant des attentes fortes autour du numérique en santé, notamment autour de la prise de rendez-vous et de la facilitation des démarches. En parallèle, seul un quart des répondants déclare y déceler une amélioration de leur propre santé dans les années à venir.
Aussi, pour Stéphanie du Boucher, « l’enquête souligne que les Français ont un rapport d’usages vis-à-vis du numérique en santé : quelle simplification de l’existant ? Télémédecine, prise de rendez-vous en ligne… Les bénéfices attendus sont concrets. La finalité que peut apporter le numérique en santé, c’est-à-dire l’amélioration de la santé et l’analyse de la donnée à des fins d’amélioration de parcours de soin, de prise en charge, de la recherche, semblent encore passer au second plan ».
Malgré les doutes, l’optimisme
Près de la moitié des Français « redoutent d’être moins bien soignés s’ils ne maîtrisent pas [les technologies numériques] suffisamment », note l’Observatoire. Malgré ces craintes, les trois quarts considèrent que l’utilisation de ces technologies permettra d’améliorer leur suivi médical. Pour Stéphanie du Boucher, « les Français sont finalement assez optimistes vis-à-vis du numérique en santé » face à ce qui représente « l’avenir de la santé ».
Début juillet, l’accélérateur d’Innovation Sociale de La Croix-Rouge française et la Fondation Roche annonceront les deux lauréats de leur appel à projets « Programme Impact Data ». Grâce à un accompagnement de six mois et un soutien financier, il s’agira pour ces deux projets de participer au passage à l’échelle de l’inclusion numérique en santé.
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