Accompagner les publics à distance : témoignage de Mathilde Deom, chargée de mission au Chênelet
Chênelet est une entreprise sociale regroupant 4 sites (Ateliers et Chantiers d’Insertion, et Entreprises d’Insertion). Elle emploie et forme des salariés en parcours d’insertion sur des métiers industriels, essentiellement dans les secteurs de l’agro-alimentaire, de l’industrie du bois et de l’éco-construction, sur différents territoires : le Pas-de-Calais, les Ardennes et la Bourgogne.
Le soir du 16 mars, comme l’ensemble des Français, les équipes du Chênelet apprennent le nouveau contexte sanitaire auquel la structure doit faire face, bousculant en profondeur son fonctionnement.
Mathilde Deom, chargée de mission pour Chênelet Développement, revient sur l’adaptation du Chênelet au confinement, et plus particulièrement sur les moyens mis en place pour accompagner à distance une partie des salariés en insertion.
Les Bons Clics : Tout d’abord, comment ont réagi les équipes du Chênelet à l’annonce des confinements successifs ?
Mathilde Deom (MD) : Le contexte des deux confinements est très différent. Comme pour beaucoup, l’annonce du premier confinement a été un véritable choc et a marqué un temps d’arrêt dans nos activités. Les petites équipes de production ont été stoppées, pour certaines sur 1 ou 2 semaines, et d’autres pour toute la durée du confinement.
Dans un premier temps, un énorme travail a été mené pour évaluer la situation de chacun. Durant les jours qui ont succédé l’annonce, les équipes, et notamment les conseillers en insertion socio-professionnelle, se sont mobilisées pour appeler l’ensemble des salariés en parcours d’insertion. Situation familiale, santé des salariés et de leurs proches, possibilité ou non de se déplacer pour travailler, conditions de logement, sentiments vis-à-vis de la situation… On a rapidement fait une cartographie des personnes qui réunissaient les conditions permettant de continuer à travailler.
On a aussitôt dû se demander comment faire pour garder le lien avec ceux qui restaient chez eux. D’autant plus qu’on sait qu’avec ce public, quand il n’y a pas de lien quotidien, on peut les perdre très rapidement. Pourtant, en tant qu’entreprise d’insertion, une grosse partie de notre travail est de recréer du lien social autour des personnes en insertion.
Les Bons Clics : Qu’avez-vous mis en place pour garder le lien avec les salariés en insertion ? Quels accompagnements avez-vous pu poursuivre à distance ?
MD : La première chose mise en place, c’est la mobilisation des équipes d’accompagnement social et d’encadrement technique pour appeler les salariés régulièrement.
On avait un contact téléphonique avec tous les salariés en insertion qui ne pouvaient pas venir travailler minimum une fois par semaine.
Le téléphone a été le lien numéro un, surtout au début du premier confinement. Pour certaines de ces personnes, c’était le seul contact hors sphère familiale de la semaine. Donc ces moments étaient très appréciés car on prenait le temps de parler de leur situation, de leurs proches, de leurs conditions et leurs ressentis vis-à-vis du confinement. Cela pouvait durer une bonne heure pour ceux qui avaient besoin de parler.
Par ailleurs, toute la partie formation s’est arrêtée brusquement, or ce sont aussi des moments qui favorisent la création de lien. J’ai donc proposé assez rapidement, avec les encadrants des salariés en parcours d’insertion, de mettre en place des modalités de formation à distance, pour garder le lien. Premièrement, on a envoyé par mail des documents de formation sur des sujets techniques, en lien avec les postes sur lesquels ils étaient déjà formés, ou sur lesquels on souhaitait les former pour la suite.
Après leur avoir laissé le temps de prendre connaissance des documents, de se les approprier, un quizz était proposé en ligne puis un moment d’échange individuel par téléphone était organisé avec l’encadrant technique pour débriefer, poser des questions.
Par ailleurs, lors des temps de formation classiques, on demande aux salariés de rédiger un dossier. En présentiel, on prend le temps en collectif ou en individuel pour les aider à taper eux-mêmes les documents via des outils bureautiques. Pendant le confinement, on leur a proposé d’avancer sur leur dossier en distanciel, avec un système de document partagé sur Google Drive.
Pour ceux qui avaient le plus de mal sur l’utilisation de l’outil, on les a accompagnés par téléphone en leur expliquant où cliquer pour mettre en gras, comment gérer les commentaires du document partagé etc. Ça a été une combinaison de téléphone et de numérique, avec un petit peu de visio pour les plus à l’aise. Mais la visio nécessite pas mal de compétences numériques (ouvrir un mail, cliquer sur un lien, vérifier que sa caméra fonctionne, activer le son, etc), en plus d’avoir un débit suffisant, donc ce n’est pas toujours évident. Ça pourrait être plus facile avec des outils comme Whatsapp. On ne l’a pas encore testé, mais cela reste une possibilité.
Les Bons Clics : Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontré pour accompagner vos publics à distance ?
MD : Les difficultés principales étaient de deux types. Cela pouvait provenir d’un problème d’équipement ou de connexion : certains étaient uniquement équipés d’un smartphone, ce qui freine certains usages. Par exemple, la lecture d’un document est plus fastidieuse sur téléphone. Les problèmes de connexion sont liés, quant à eux, à notre implantation géographique : on agit aussi en milieu très rural, donc certains salariés se trouvent en zones blanches. Pour le coup on était coincé : on ne pouvait agir que par téléphone.
L’autre type de difficulté est lié aux usages : certains avaient des difficultés pour ouvrir des documents, gérer leur boîte mail, etc. L’assistance par téléphone a plutôt bien fonctionné dans ces cas-là.
Par contre, on n’a pas pu toucher tout le monde. On enlève déjà environ 10% de personnes touchées par les problèmes de matériel ou de réseau. Ce n’est pas énorme au vu des situations, mais ça existe quand même. Et puis ceci a été testé sur quelques équipes volontaires.
Les Bons Clics : Après l’expérience du premier semestre, comment abordez-vous ce deuxième confinement ?
MD : Pour ce deuxième confinement, on est mieux préparé. Par exemple, suite à notre expérience en début d’année, on a intégré dans nos formations des temps sur l’utilisation des documents partagés. On a donc fait des exercices avec les salariés, par miracle juste avant l’annonce du deuxième confinement. Donc on sait qu’on peut utiliser cet outil, si jamais les mesures se durcissaient.
Et puis on a continué de tester des choses après le premier confinement. Parce que les contraintes sanitaires nous empêchaient de continuer la formation en présentiel avec des groupes entiers, et pour préserver certains membres de l’équipe permanente à risque, on a animé certains groupes en visio. Avec le soutien nécessaire d’une personne sur place pour gérer la partie technique, j’ai pu animer des formations à distance, en testant des outils d’animation comme Wooclap. Et ça c’est quelque chose qui va perdurer dans le temps : plutôt que de mobiliser un formateur sur plusieurs jours pour animer une demi-journée sur un site éloigné, cette personne peut faire l’intervention à distance.
Cette expérience nous ouvre des possibilités sur les manières d’animer et de travailler en équipe sur des sujets de formation et d’accompagnement.
De la même manière, on a mis en place des nouveaux outils partagés pour le suivi des accompagnements. On va plus loin en équipe sur la manière d’accompagner les salariés grâce à cela.
On garde également un enseignement très important du premier confinement : on a besoin de proposer des temps d’accompagnement individualisés sur la montée en compétences numériques des salariés, pour leur permettre d’atteindre un certain niveau permettant des accompagnements en ligne si besoin.
Si les salariés ont utilisé les outils en présentiel avec nous, ce sera beaucoup plus facile pour eux de les utiliser à la maison.
Les Bons Clics : Avez-vous des conseils à transmettre pour d’autres structures qui souhaiteraient accompagner leur public à distance ?
MD : Un premier conseil, pour reprendre ce que je disais à l’instant, est d’accentuer au maximum l’utilisation du numérique par les salariés en insertion en présentiel, pour faciliter le passage en distanciel si besoin.
Le numérique doit être intégré dans le quotidien des salariés qu’on accompagne.
Cela signifie aussi ouvrir les sujets : on a besoin de comprendre et d’identifier les problématiques d’équipements, de forfaits, de réseaux…
Un deuxième conseil très important est la communication entre les équipes. C’est primordial pour la coordination des actions.
Et pour finir, il ne faut pas oublier les besoins de formation des équipes encadrantes elles-mêmes, parfois autant que les salariés en insertion. Comme dans la société, on retrouve tous les niveaux de pratiques, d’appétences et de compétences parmi les équipes encadrantes. Il faut jouer avec les points forts de chacun : certains utilisent très bien les réseaux sociaux, d’autres sont des experts des formules Excel…
4La formation en pair-à-pair marche aussi pour les équipes encadrantes. Chacun a un bout de la solution, il suffit juste de la partager ! Finalement le numérique est un travail du quotidien : petit-à-petit, le sujet s’infuse à tous les niveaux.