Dématérialisation : « une autre approche est possible » – Défenseure des droits
Alors que 83% des 250 démarches les plus utilisées sont aujourd’hui dématérialisées, la Défenseure des droits présentait mardi dernier le rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?
Deux mois avant les élections présidentielles, Claire Hédon propose ainsi de réexplorer les recommandations faites par son prédécesseur trois ans plus tôt, avant que la crise sanitaire ne renforce plus encore le rôle du numérique dans notre quotidien.
Quel bilan tirer de la dématérialisation suite à la crise sanitaire ? Quels efforts ont été faits, et lesquels restent à faire ? Quels sont les « impensés » de la dématérialisation ?
Saluer les avancées…
Les politiques de transformation numérique et d’inclusion numérique se sont développées ces trois dernières années, comme en témoignent la création de la DINUM en 2019 ainsi que les 908 millions d’euros investis dans le cadre du plan France Relance – dont 250 millions sont exclusivement dédiés à l’inclusion numérique.
Le rapport souligne d’abord l’amélioration de la couverture en réseau de la France, qu’il s’agisse du réseau mobile – qui couvre désormais 85% du territoire, contre 72% en 2017 – ou du très haut débit.
Concernant l’accompagnement des usagers, 2055 structures sont désormais labellisées France Services, un service de guichet unique qui permet de « répondre à l’une des recommandations du précédent rapport du Défenseur des droits, qui préconisait la création d’un service public de proximité réunissant un représentant de plusieurs services publics » . D’ici la fin de l’année, le gouvernement souhaite que chaque citoyen puisse se rendre à un espace France Services en moins de 30 minutes.
« Les espaces France services, le plus souvent sous forme de « maisons », parfois de bus itinérants, s’inscrivent dans une logique de rétablissement de la présence de guichets et d’accueils physiques des usagers, à rebours de l’idée selon laquelle la relation de service public pourrait être intégralement dématérialisée »
Extrait du rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? (page 11)
Deux mesures du plan France Relance sont notamment mises en avant, le recrutement de 4 000 Conseillers numériques France Services et le déploiement du dispositif Aidants Connect, qui sécurise le travail des médiateurs contraints de faire à la place des usagers.
Autre mesure mentionnée, les Pass numériques permettent de s’inscrire gratuitement à des ateliers numériques dans les structures labellisées APTIC. Si leur distribution a « permis le rapprochement des publics vulnérables des lieux qualifiés », la Défenseure des droits se fait l’écho de la Cour des Comptes qui, en mars 2021, rapportait les limites de ce dispositif. Parmi les 600 000 Pass que les prescripteurs ont acheté, 100 000 auraient été effectivement utilisés par les citoyens.
… Malgré des limites persistantes
Pour la Défenseure des droits, la dématérialisation se heurte à plusieurs difficultés. Tout d’abord, certaines démarches n’intègrent pas l’ensemble des situations prévues par les lois : les modifications des modalités d’accès à l’espace personnel de la Caf, en octobre 2021, ont par exemple rendu la connexion impossible aux personnes munies d’un numéro de sécurité sociale provisoire.
Une des recommandations émise par la Défenseure des droits consiste d’ailleurs au regroupement des modifications des interfaces. « Des changements d’interface répétés et rapprochés dans le temps, détaille le rapport, ont des incidences sur les utilisateurs (…) mais également sur les accompagnants qui doivent réadapter leurs outils pédagogiques d’accompagnement ».
Le suivi de la qualité des services dématérialisés poserait également problème. S’il est certes possible de donner son avis sur une démarche en ligne, les principaux outils pour le faire seraient eux-mêmes numériques, à l’instar de Voxusagers ou Services Publics +.
« Le bouton “Je donne mon avis”, qui permet à la direction interministérielle du numérique de dresser des indices de satisfaction des usagers de nombreuses démarches en lignes, est accessible… à la fin de la démarche uniquement. Si bien que ceux qui n’ont pas réussi à aller au bout, et dont l’avis serait sans doute plus mitigé, n’ont pas accès à l’outil d’évaluation »
Extrait du rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? (page 17)
D’autres démarches, comme la prise de rendez-vous pour renouveler un titre de séjour ou la fabrication d’un permis de conduire, n’offrent aucune « alternative réelle au numérique ». L’approche « multicanale » préconisée en 2019 par Jacques Toubon ne serait ainsi « pas conçue comme la norme ».
Le déploiement de points d’accueil physiques, comme les points d’accueil numériques des préfectures et des sous-préfectures, se heurterait, lui, au manque de formation des médiateurs, spécialistes de l’outil numérique plutôt que du « fond des dossiers ».
« Faute d’avoir pu réaliser en ligne sa déclaration trimestrielle de ressources, et l’espace France services où il a l’habitude de faire ses démarches étant fermé pendant l’été, un réclamant sans domicile fixe et dépourvu d’équipement numérique a vu la Caf mettre fin à ses droits pour défaut de déclaration »
Extrait du rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? (page 28)
Le rapport met également en avant la notion de préemption du consentement : la création d’un compte sur un site public signifie « souvent » accepter que les échanges avec ce service soient dématérialisés. C’est ainsi qu’un demandeur d’emploi vivant en zone blanche aurait été radié de Pôle emploi, ne s’étant pas présenté aux rendez-vous avec son conseiller dont il avait été notifié par mail et SMS et qu’il n’a donc pas reçu.
Des publics structurellement exclus de l’administration numérique
La dématérialisation des démarches administratives profite à de nombreuses personnes. La garantie d’un accès universel aux services publics est hélas compromise pour plusieurs populations « structurellement pénalisées par le développement de l’administration numérique ».
1. Les personnes en situation de handicap
40% des sites internet publics sont désormais accessibles aux personnes en situation de handicap, contre 5% en 2019. Une augmentation louable, mais encore loin du compte pour la Défenseure des droits, qui constate un écart entre les objectifs gouvernementaux et l’obligation d’accessibilité numérique des sites publics (circulaire d’octobre 2020) et les objectifs fixés en la matière. La DINUM, par exemple, souhaite que 80% des 250 démarches les plus utilisées soient accessibles pour les personnes en situation de handicap à la fin de l’année 2022.
« Monsieur X, personne non-voyante, a saisi le Défenseur des droits à la suite des difficultés qu’il rencontre pour utiliser le service de pré-plainte en ligne du ministère de l’Intérieur (https://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr/). Le réclamant indique qu’à la fin de la démarche, il lui est demandé de recopier le texte inscrit dans une image, ce qui lui est impossible compte tenu de son handicap visuel. Après une vérification réalisée par les agents du Défenseur des droits, aucune alternative n’est proposée par le site pour les personnes non-voyantes »
Extrait du rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? (page 35)
2. Les personnes en détention
En France, les personnes en détention ne disposent d’aucun accès à internet. A cet égard, la Défenseure des droits rappelle que l’interdiction de se déplacer librement ne suffit pas à priver les personnes en détention « de leurs autres droits fondamentaux ». L’intégration du numérique dans les centres de détention est en phase d’expérimentation depuis 2019, dans le cadre du dispositif Numérique en Détention.
3. Les personnes étrangères
Selon la Défenseure des droits, « les ressortissants de pays tiers à l’Union européenne sont de facto les usagers les plus durement mis à l’épreuve de la dématérialisation des procédures administratives ».
L’année dernière, six associations ont poursuivi 23 préfectures qui ne proposaient pas d’alternative au numérique pour les demandes de titre de séjour. Le tribunal administratif de Cayenne, le premier à trancher, s’est prononcé en faveur du maintien d’une alternative à la voie dématérialisée. En attendant, les médiateurs numériques et sociaux se retrouvent en première ligne pour permettre aux étrangers en France d’accéder à leurs droits.
Dématérialisation : un « renversement historique » de la relation entre usager et administration
Au travers de ce rapport, la Défenseure des droits interroge plus largement les relations entre l’administration et les usagers. Alors que 13 millions de personnes demeurent éloignées du numérique en France, la dématérialisation des services publics induirait un bouleversement dans la conception même des services publics : il n’incomberait plus à l’administration de répondre aux besoins des usagers, mais aux usagers de s’adapter aux attentes de l’administration.
« La transformation numérique de l’administration, telle qu’elle est menée aujourd’hui, et la politique d’inclusion numérique qui l’accompagne, impliquent une transformation du rôle de l’usager dans la production même du service public : il en devient le coproducteur malgré lui. (…) Sur les épaules de l’usager ou de ses “aidants” reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure »
Extrait du rapport : Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? (page 8)
Cette responsabilité nouvelle, portée par les usagers autant que par les aidants, ne semble toutefois pas immuable pour Claire Hédon. « Numériser les procédures administratives peut constituer une avancée pour tous les usagers (…) si ce processus est compris, conçu et mené (…) comme une évolution des relations entre les administrations et les usagers, certes profonde mais choisie, qui s’inscrit dans une continuité historique et juridique, et dans un temps qui n’est pas celui de la rupture technologique mais celui de besoins, attentes et “usages” de tous les usagers ».
C’est notamment dans le maintien d’une alternative au numérique que se jouerait une approche inclusive de la dématérialisation. Un chemin déjà entamé selon la Défenseure des droits : « la culture de l’omnicanal, bien qu’encore trop ponctuellement mise en œuvre, semble progressivement s’inscrire dans le champ de la relation avec les usagers ».
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Bonsoir,
Le bouton “Je donne mon avis”, qui permet à la direction interministérielle du numérique de dresser des indices de satisfaction des usagers de nombreuses démarches en lignes, est accessible… à la fin de la démarche uniquement. Si bien que ceux qui n’ont pas réussi à aller au bout, et dont l’avis serait sans doute plus mitigé, n’ont pas accès à l’outil d’évaluation »
C’est pertinent !
Mais je suggère aussi que les grandes créateurs des sites (y compris les BONS CLICS), permettent aux utilisateurs d’écrire leurs remarques et suggestions à différents endroits du questionnaire ou de l’appli !!! Cela permettrait d’améliorer rapidement le site ou appli, en recueillant immédiatement les avis. Qu’en pensez-vous ? Daniel.rouzee@orange.fr