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« Aucun parent ne peut dire, aujourd’hui, que le numérique n’est pas un enjeu pour ses enfants » – Samuel Comblez, Association e-Enfance/3018

Cet article a été réalisé en partenariat avec la Fondation AFNIC et fait partie d’un projet destiné à aider les acteurs sociaux dans l’accompagnement des parents à l’ère du numérique.

46% des parents ne se sentent « pas ou pas suffisamment accompagné[s] pour réguler la consommation des écrans par [leurs] enfants », selon une récente étude Ipsos pour l’UNAF (Union nationale des associations familiales) et l’Open (Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique).

L’utilisation croissante du numérique par les enfants n’est pas sans risque. Cyberharcèlement, addiction et surexposition aux écrans, exposition à des images violentes ou inadaptées… : si les risques sont conséquents, les parents se retrouvent parfois démunis face à ces outils qu’ils estiment moins maîtriser ou moins comprendre que leurs enfants.

Reconnue d’utilité publique, l’Association e-Enfance/3018 agit depuis plus de 15 ans pour la protection des enfants en ligne et « l’éducation à la citoyenneté numérique ». Notamment en charge de l’application et du numéro national 3018, elle accompagne les victimes de violences sur internet ainsi que leurs parents et les professionnels de l’éducation.

Quels sont les principaux risques derrière l’utilisation du numérique par les plus jeunes et comment ont-ils évolué ? Comment aider les parents dans l’éducation au numérique de leurs enfants ?

C’est avec ces questions – et d’autres – en tête que le média Les Bons Clics a rencontré Samuel Comblez, psychologue et directeur des opérations de l’Association e-Enfance/3018.

Parentalité et numérique : pour Samuel Comblez, le parent doit regagner de la présence dans les espaces virtuels.
Samuel Comblez, psychologue et directeur des opérations de e-Enfance/3018.

Les Bons Clics : L’Association e-Enfance/3018 a été créée en 2007, alors que les réseaux sociaux n’étaient pas aussi massivement adoptés qu’aujourd’hui. Quels étaient les principaux risques du numérique pour les enfants à cette époque ? Dans quelle mesure ces dangers ont-ils évolué depuis ?

Samuel Comblez : Au moment du lancement de l’Association e-Enfance/3018 il y a 17 ans, trois problématiques, malheureusement toujours présentes, existaient :

  1. L’exposition des enfants à la pornographie, ce qui n’a pas beaucoup évolué, voire a augmenté ;
  2. Le temps de connexion, et notamment le temps passé devant les jeux vidéo, ce qui n’a pas beaucoup évolué, voire a augmenté ;
  3. Et le lien avec les prédateurs sexuels qui, malheureusement, n’a pas baissé.

Et de nouvelles problématiques sont apparues. Globalement, l’enjeu qui monte chez les mineurs, ce sont les escroqueries et le piratage. Cela n’existait pas il y a 15 ans, et les enfants sont une cible privilégiée car ils sont plus naïfs et sont souvent seuls derrière leurs écrans.

On parle également de plus en plus des conséquences du numérique sur la santé avec, évidemment, les troubles du sommeil, du langage, du développement, de l’humeur… Avec des enfants qui peuvent être très jeunes. Quant au harcèlement en ligne, il englobe 50% de nos activités.

Tout cela augmente parce qu’il y a plus de jeunes connectés, et parce que les réseaux sociaux n’existaient pas il y a 15 ans. Un élément notable est que nous commençons nos interventions de plus en plus tôt : en CE2 il y a trois ans, en CE1 il y a 2 ans, en CP cette année. L’année prochaine, nous devrions intervenir en école maternelle, auprès des parents et des professionnels.

Autre glissement : des responsables de grande école nous ont appelés car certains de leurs jeunes étudiants traversent des problématiques comportementales qui, normalement, sont connues au lycée.  On sent qu’il y a une immaturité pour les plus âgés, et une précocité d’usage pour les plus jeunes.

C’est pourquoi on essaie de les initier au développement de l’esprit critique, concernant l’usage qu’ils font des écrans, quel qu’il soit. Pour nous, la pornographie est une forme de désinformation, puisque les jeunes s’en saisissent en se disant que ce qu’ils ont vu est ce qu’ils vont avoir à vivre.

Les Bons Clics : Le 3018 est votre première arme pour aider les victimes de violences numériques.  Comment fonctionne-t-il ?

Samuel Comblez : Le 3018 a été créé en 2008 sur une volonté de la Commission Européenne, qui continue d’ailleurs à  nous financer. C’est une ligne gratuite et confidentielle qui est trop longtemps restée discrète en France, mais que nous cherchons à placer comme un incontournable de la lutte contre toutes les formes de cyber-violence.

En 2021, nous avons été contacté 18.000 fois, c’est-à-dire 52% de plus qu’en 2020, une année qui elle-même avait été 44% plus dense que 2019. 60% des contacts sont faits par des adultes, et le reste par des mineurs : les premiers nous appellent, tandis que les seconds passent plutôt par le chat (via Messenger, WhatsApp, et bientôt Instagram…). Nous avons désormais une équipe d’une quinzaine d’écoutants dont les rangs sont voués à grossir.

Le 3018 permet d’être mis en contact avec un professionnel qui va d’abord essayer de comprendre la situation, ce qui peut s’avérer complexe : comment parler de numérique à quelqu’un qui ne sait parfois pas ce qu’est un slash, ou qui méconnait totalement l’usage numérique de ses enfants ? Cela fait partie de l’acculturation des personnes qui nous contactent de leur donner des éléments de langage communs.

Le 3018 permet également de signaler du contenu. Notre grande force, c’est de pouvoir faire supprimer des contenus, voire fermer des comptes, beaucoup plus rapidement que si vous le faisiez vous-même, grâce à des partenariats avec tous les réseaux sociaux. Nous allons aussi pouvoir intégrer des éléments de contexte, sur le français par exemple : les modérateurs sont parfois à l’autre bout du monde, et ne connaissent pas forcément les subtilités de la langue et du contexte français.

Au-delà du 3018, nous organisons également des ateliers à destination des enfants et des parents. Pour les enfants, nous nous adaptons selon l’âge : en primaire, c’est un module de 55 minutes. Ensuite, ce sont deux heures, avec un module en sixième-cinquième, un autre pour les quatrièmes et les troisièmes, et un dernier au lycée. L’idée, c’est que les jeunes repartent avec une meilleure compréhension du numérique et de l’envers du décor.

Les Bons Clics : Comment se sentent les parents devant la place du numérique dans la vie de leurs enfants ?

Samuel Comblez : Beaucoup de parents se disqualifient vis-à-vis du numérique. Ce sont les fameux « Je n’y connais rien, parce que je n’ai pas grandi avec le numérique ». D’autres nous disent que leurs enfants ne regardent pas de pornographie puisqu’ils ont été bien élevés – comme si c’était un problème d’éducation (rires). D’autres encore ne mettent pas de contrôle parental car ils sont assurés que, dans leur foyer, la parole circule librement. 

Notre travail à l’Association e-Enfance/3018, c’est de mettre le curseur au bon endroit : les inquiéter là où ils besoin d’être inquiétés parce qu’ils sous-estiment le problème, et de temps en temps leur dire de lâcher prise car tout n’est pas problématique avec le numérique.

Cela fait tout de même quelques années que les enfants ont des outils numériques dans les mains, qu’ils se transmettent des bonnes pratiques… Une maturité se fait petit à petit. Les enfants ne sont pas tous naïfs. Un enfant, bien accompagné par ses parents et qui utilise avec intelligence ces outils, n’aura globalement pas trop de soucis.

Notre travail, c’est aussi de rassurer les parents et de leur montrer qu’ils sont capables. Ceux qui ont peur des jeux vidéo parce qu’ils n’y connaissent rien, je leur réponds souvent qu’ils accompagnent leurs enfants le weekend au bord du terrain du foot. Ils n’ont peut-être jamais joué au foot, ne savent pas forcément toutes les règles… Pour autant, rien ne les empêche de dire que leur enfant est trop personnel, qu’il n’a pas respecté l’arbitre, son équipe ou ses partenaires… C’est du bon sens de parent, c’est des valeurs humaines, des repères éducatifs.

C’est aussi cela qu’on doit leur dire : le numérique n’est pas une sphère fermée, c’est un lieu de vie dans lequel les parents doivent reprendre un peu de place et de pouvoir. Il n’y a pas de raison que cette sphère-là échappe aux parents : je pense qu’il y a moins de dangers à l’école que dans la sphère numérique et, pourtant, les parents s’intéressent plus à la première qu’au deuxième. Si les enfants sont certes plus à l’aise intuitivement avec le numérique, comprendre qu’un prédateur sexuel peut se cacher derrière le profil d’une petite fille, ils ne peuvent pas le découvrir seuls.

Ce qui m’interpelle beaucoup, c’est que cette autonomie peut commencer dès le début de la prise en charge d’un écran. Un enfant peut traverser toute sa jeunesse sans que personne ne lui dise jamais que tel ou tel comportement est inadapté, que tel ou tel objet est risqué…

Et le revers de la médaille est là : le mal-être des adolescents augmente, on a des jeunes avec des retards de langage forts, d’autres qui se désocialisent, on a un nombre d’agressions sexuelles mineures qui est en constante augmentation… On sent que les parents sont dépassés.

Avec nos ateliers, on a sensibilisé 143 000 personnes en 2021,  dont 128 000 mineurs. C’est à peu près 60.000 de plus par rapport à avant le COVID.

Les Bons Clics : De nombreux parents peuvent eux-mêmes, comme 13 millions de personnes en France, être éloignés du numérique. Est-ce que le manque de compétences numériques fait partie de vos préoccupations, concernant les réseaux sociaux ou le contrôle parental par exemple ?

Samuel Comblez : Nous nous concentrons sur les usages du numérique. On n’explique pas comment utiliser une imprimante ou un ordinateur… Nous essayons de faire monter la population sur un usage responsable, raisonné, et citoyen des réseaux sociaux et des outils numériques en général.

Notre objectif, c’est que les parents aient compris les situations que leurs enfants vont rencontrer, et qu’ils comprennent mieux leur place dans la vie numérique de leurs enfants.

Beaucoup de parents nous demandent s’il faut qu’ils deviennent amis avec leurs enfants sur les réseaux. Mais lors du premier jour d’école d’un enfant, les parents ne vont pas rester dans la cour de récréation pour écouter qu’ils ne disent pas de bêtises. Ils leur enseignent les bonnes pratiques, et leur font confiance ensuite. C’est aussi comme ça que l’on grandit, et c’est pareil pour les réseaux sociaux : il faut donner l’outil et le mode d’emploi qui l’accompagne.

Vivre des dangers fait aussi partie des apprentissages de la vie. On ne dit pas qu’il faut effacer tous les dangers, on dit qu’il faut apprendre aux enfants à faire face aux dangers.

Les réseaux sociaux, c’est aussi leur jardin secret. Par contre, c’est bienvenu de leur dire que la pornographie n’est pas un mode d’emploi de leur sexualité à venir : la moitié des élèves de primaire ont vu des images pornographiques, mais n’osent pas en parler à leurs parents parce qu’ils ont peur des sanctions.

Nous ne sommes pas trop dans le conseil, parce que ça nous semble stérile en termes d’appropriation. Nous montrons l’envers du décor, mais tous les parents sont différents, tous les enfants sont différents, et chaque famille a ses modes de fonctionnement. On aide les gens à se poser les bonnes questions, à se servir de ça pour mettre le curseur au bon endroit.

Concernant le contrôle parental, nous sommes pour, avec quelques préalables. Le premier est de dire aux parents que ce n’est pas si simple à installer : c’est un outil et, comme tout outil, il faut prendre le temps de le découvrir.

Nous considérons que le contrôle parental est une aide pour les parents, mais qu’il ne doit pas le remplacer. Le logiciel n’empêche pas d’être vigilant, de contrôler… D’autant qu’on sait très bien que des tutos existent pour cracker ces logiciels, et que les enfants s’enseignent entre eux comment faire.

Et un logiciel de contrôle parental, c’est quelque chose de vivant. Il faut le faire vivre, et toujours en bonne intelligence avec l’enfant pour qu’à la fin, il y aille en toute autonomie comme on le fait dans toutes les autres dimensions de la vie : on lui tient la main pour les premiers pas, puis on lâche un peu, on regarde, et on laisse courir. Tout est une question de dosage, de protection et de confiance.

Les Bons Clics : Comment mettre en place un dialogue sur le numérique avec ses enfants ?

Samuel Comblez : Ce qui est important avec le dialogue, c’est de savoir que ce n’est pas grave si on ne sait pas quelque chose. Ne pas savoir ne fait pas de nous des mauvais adultes.

Si on ne connaît pas tel jeu ou telle fonctionnalité, on peut demander à l’enfant de montrer comment ça fonctionne avant de donner son avis. Ce n’est pas grave de ne pas savoir. Le plus important, c’est de parler, peu importe le niveau de connaissance, et de montrer que les parents sont intéressés par ce qui se fait dans la sphère numérique : sans habitude au dialogue, l’enfant se retrouvera tout seul le jour où il se passera quelque chose de grave. Montrer de l’intérêt, c’est de la prévention.

Une phrase de parent moderne devrait être : « Est-ce que tout se passe bien sur ton jeu ? Est-ce que tu es content de toi ? ». C’est une évolution, qu’on le veuille ou non, dont on doit tenir compte. Nous sommes pro-numérique chez e-Enfance/3018, mais nous sommes aussi en faveur de l’accompagnement, de la sensibilisation, de l’alerte sur les dangers…

Les Bons Clics : La fracture numérique touche plus durement les personnes les moins diplômées et avec les revenus les plus faibles. Comment réussir à aller vers ces publics et leurs enfants ?

Samuel Comblez : La majorité des parents que l’on voit, c’est dans un cadre scolaire. Or, en général, l’absence de diplôme et la fragilité socio-économique ne donnent pas un regard très bienveillant sur l’école : souvent, ce sont des parents qui ont une vision négative de l’école car elle n’a pas été l’ascenseur social qu’on leur avait promis.

C’est ce qui explique qu’on va de plus en plus chercher les parents où ils sont, en entreprise par exemple. On fait de plus en plus de formation dans cet univers. On ne touche pas encore toutes les personnes, naturellement. Peut-être qu’on pourrait imaginer travailler avec Pôle emploi, la Caf ou Emmaüs pour ça.

En attendant, une petite solution s’est imposée à nous : ce sont les visioconférences. En 2020, on a eu notre record de participation, avec 900 personnes connectées en même temps. Nous n’avions jamais eu 900 personnes qui se déplaçaient. Cela permet de parler à plus de personnes, même si l’on reste prudent, parce que le message ne passe pas de la même manière.

Nous avons besoin de toutes les initiatives qui contribuent à faire monter les parents en compétences, dans tous les espaces de vie virtuels ou réels. Mais quel que soit le message transmis, si le parent ne considère pas qu’il est concerné, on passe à côté.

Notre petite lueur d’espoir, c’est de voir, dans quelques temps, les adolescents d’aujourd’hui devenir parents à leur tour. Peut-être seront-ils plus prudents pour utiliser les écrans, même si je suis un peu plus réservé que d’autres sur ce point-ci. Quand on est enfant ou adolescent, il y a un passage obligé par la prise de risques.

Une autre évolution est porteuse d’espoir : il y a cinq ans, j’aurais dit que mon métier était d’informer les parents des risques du numérique. Aujourd’hui, les parents nous demandent quoi faire. On arrive d’emblée avec des supports, des outils, des éléments de langage… et les parents sont extrêmement preneurs de ça. 


e-Enfance : télécharger l'application de lutte contre les violences numériques
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