Accessibilité numérique : comment accompagner des personnes en situation de handicap ?
Quentin Houdebine, Conseiller Numérique à la Croix-Rouge Française, a pris sa plume pour écrire pour le média Les Bons Clics, et nous propose aujourd’hui des témoignages sur le sujet de l’accessibilité numérique. Bonne lecture !
L’accessibilité numérique, c’est permettre à toutes et tous l’utilisation de matériel, logiciel, ainsi que la navigation sur internet. Plus précisément, c’est rendre accessible le numérique en s’adaptant à toute forme de handicap, physique et/ou mental.
Cet objectif est loin d’être atteint, puisque selon Handicap.fr, seules 40% des démarches administratives sont véritablement accessibles. Quels sont les freins à lever pour plus d’accessibilité numérique ? Quels sont les outils disponibles et comment accompagner les personnes en situation de handicap ?
Pour aborder ce sujet complexe, nous avons rencontré des accompagnant.es qui aident au quotidien ces publics sur le numérique :
- Bernadette Poiraud, avec l’association ACIAH (Accessibilité, Communication, Information, Accompagnement du Handicap) en Loire-Atlantique. Elle accompagne des personnes éloignées du numérique, notamment en situation de handicap, via des accompagnements individuels et collectifs itinérants.
- Michel Jouanny et Michel Ferrant, bénévoles dans l’association Valentin Haüy qui accompagne des personnes aveugles et malvoyantes sur le numérique.
Au sein de vos missions, quels sont les publics concernés et quels sont les freins rencontrés ?
Bernadette Poiraud : nous avons rencontré des personnes aveugles ou en situation de DMLA pour qui l’enjeu est la maîtrise du clavier et de l’écran. Un frein supplémentaire : la capacité à financer du matériel spécialisé. Nous avons pu les aider via un lecteur d’écran quasiment gratuit. Nous avons aidé également des personnes atteintes de la maladie de parkinson ou bien victimes d’un AVC. Pour ces personnes là le maniement de la souris et du clavier étaient le principal enjeu. Nous leur avons appris par exemple à adapter les raccourcis clavier à leurs capacités.
Michel Ferrant et Michel Jouanny : il existe certaines difficultés avec le public malvoyant, par exemple en situation de DMLA. Ils ont été peu habitués à toucher, et cela se complique en fonction de la taille des touches et de la perte de sensibilité du bout des doigts. Le deuil de la vue est difficile à faire et pousse à être obnubilé par l’écran, en focalisant la vue plutôt que l’écoute de la synthèse vocale par exemple. Selon l’étude Homère recensant la population déficiente visuelle sur le territoire, le public aveugle est généralement le plus facile à former via l’utilisation combinée de la synthèse vocale et du braille. Ils sont d’ailleurs plus souvent à l’aise avec le numérique. L’évolution technologique et l’accès à internet a changé le monde des aveugles et malvoyants, mais a aussi eu des conséquences néfastes dans le monde professionnel : selon la même étude Homère, 50% des déficients visuels sont sans emploi. Des postes comme standardistes, souvent occupés par des personnes aveugles, ont progressivement disparu par l’automatisation ou l’utilisation de plateformes de renseignement. De plus, si les outils tels que la synthèse vocale sont généralement efficaces, les logiciels métiers utilisés sont malheureusement souvent peu accessibles et ne permettent pas une réelle inclusion dans le monde du travail.
Quelles sont les normes d’accessibilité ?
B. Poiraud : on peut retrouver toutes les normes dans le RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité) concernant les images, les cadres, les couleurs, les tableaux, les liens, le multimédia, sans oublier de faire des documents structurés avec un langage simple et une navigation la plus simple et la plus intuitive. Un aspect à ne pas oublier : l’accessibilité financière ! Les gens de notre région ne peuvent pas se payer un ordinateur à 500€, surtout s’ils ont peur de ne pas savoir s’en servir. C’est pourquoi nous reconditionnons les ordinateurs que nous récupérons, et les cédons à bas prix.
M. Ferrant et M. Jouanny : le RGAA est un peu la bible de l’accessibilité.. Néanmoins ces normes s’avèrent parfois plus des incitations que des obligations. Nous proposons par ailleurs sur notre site une page dédiée à l’accessibilité numérique.
D’après handicap.fr, 60% des démarches administratives ne sont pas accessibles en ligne. Avez-vous pu le constater durant vos missions et accompagnements ?
B. Poiraud : oui, et pas seulement pour les démarches administratives. La navigation est en général très difficile. La notion d’accessibilité numérique n’est pas encore intégrée par les décideurs.
M. Ferrant et M. Jouanny : l’accessibilité totale d’un site est très rare de manière générale. Il existe principalement des degrés d’accessibilité. Les sites publics sont censés respecter la loi de 2005 (RGAA) et devraient donc être accessibles, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Il existe certaines actions parfois difficiles telles que l’envoi d’un scan ou certains champs de formulaire de paiement qui demandent d’essayer plusieurs lecteurs vocaux. Par ailleurs les captchas ne sont absolument pas accessibles pour les personnes déficientes visuelles, l’alternative sonore n’est pas du tout de qualité et est difficilement audible.
Quels outils conseillez vous pour accompagner les personnes en situation de handicap ?
B. Poiraud : nous conseillons un système simple comme le nôtre, Aciah-Linux, doté d’outils de compensation du handicap, et de 150 fiches pédagogiques. Nous conseillons un accompagnement de longue durée, dans le cadre d’ateliers collectifs. C’est ce que nous mettons en place dans notre association. Nous proposons également une ligne d’écoute 7 jours sur 7. Cela se passe en général très bien car le matériel est fiable. Notre travail consiste surtout à rassurer, à détailler une procédure. L’installation d’une prise en main à distance est un plus. Nous utilisons DWService qui est quasiment gratuit.
M. Ferrant et M. Jouanny : aujourd’hui les grandes entreprises informatiques comme Apple ou Microsoft rendent leurs produits de plus en plus accessibles. Le Narrateur pour Windows ou Voice Over pour Apple permettent une lecture d’écran assez efficace, autrement NVDA (NonVisual Desktop Access) est un lecteur libre qui fonctionne bien. Les Smartphones sont aussi de plus en plus utilisés car ils marchent avec des lecteurs d’écran, et le tactile permet une accessibilité simple et efficace entre le balayage pour naviguer et le tapotement à un, deux ou trois doigts en fonction des actions. Il est même possible de les connecter à nos bloc-notes braille ce qui permet aussi d’avoir plus d’intimité avec notre téléphone. Il existe aussi des téléphones adaptés, vocalisés avec des touches plus grosses, des grands caractères et des marques tactiles. C’est généralement plutôt utile pour les personnes malvoyantes et non-voyantes non technophiles.
Constatez vous une évolution ou une plus grande sensibilisation concernant l’accessibilité numérique ?
B. Poiraud : un petit peu mais il y a encore un énorme travail à faire. Ce qui manque c’est surtout la sensibilisation des développeurs et des décideurs qui n’ont souvent pas été formés pour ça. C’est pourquoi nous faisons des journées de découverte de la navigation à l’aveugle pour faire connaître les outils et se mettre à la place des publics en situation de handicap.
M. Ferrant et M. Jouanny : Il y a besoin qu’on pousse un peu le sujet pour que les choses changent, ce ne sont pas des questionnements “naturels”, donc cela avance, mais lentement. Surtout comparé aux pays anglo-saxons. Nous n’avons pas la même représentation du handicap qu’eux. En France c’est un sujet qui fait peur, souvent évité ou considéré avec misérabilisme. Dans les pays anglo-saxons, on donne plus facilement les moyens et l’accessibilité en partant du principe que ça n’empêchera pas l’efficacité pour autant.
Pour conclure, quels conseils donneriez vous pour accompagner des publics en situation de handicap ?
B. Poiraud : être d’abord attentif aux situations des personnes. S’efforcer de naviguer au clavier et les yeux fermés, avec l’assistance d’un lecteur d’écran.
M. Ferrant et M. Jouanny : Déjà rester naturel et éviter le misérabilisme envers le public en situation de handicap, ainsi qu’éviter de leur mettre des étiquettes. Puis ne pas hésiter à les orienter vers des références, des structures spécialisées ou bien des personnes ressources.
4