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« Quand une personne arrive à une Guitoune, c’est une personne entière avant d’être un problème, une demande ou un besoin » – Thérèse Bérard, Concept Luoga

Cet article fait partie d’une série destinée à massifier l’accompagnement vers le numérique en France.

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Dans un entretien avec le média Les Bons Clics, la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre pauvreté, Marine Jeantet, déclarait ne plus reposer « seulement sur la logique du venez à nous. Nous allons aux devants, nous rencontrons les personnes vulnérables sur leur lieu de vie».

Pour les acteurs de l’accompagnement social, l’aller vers est un enjeu crucial : rencontrer ses publics, notamment les plus isolés, relève parfois du parcours du combattant. C’est ce sujet qui occupe, depuis le début des années 2000, les pensées de Thérèse Bérard.

Pour la fondatrice de Concept Luoga, il fallait avant tout se réapproprier l’espace public comme un lieu de rencontre et de vivre ensemble. Le numérique et l’inclusion numérique sont arrivés quelque temps après le lancement de son projet, avec le déploiement des Guitounes – des « bureaux d’aide » itinérants – et des Espaces Numériques Ambulants (ENA).

En quoi ces unités d’aide et de formation en itinérance permettent-ils d’aller vers les publics les plus isolés ? Dans quelle mesure le numérique et l’inclusion numérique permettent-ils de réhabiliter l’espace public en tant que bien commun ?

C’est avec ces questions – et d’autres – en tête que le média Les Bons Clics s’est entretenu avec la fondatrice de Concept Luoga.

Une Guitoune, déployée à Béziers – ©Concept Luoga

Les Bons Clics : Comment est né Concept Luoga ?

Thérèse Bérard : L’histoire de Concept Luoga remonte à 2015, mais les statuts de l’association ont été officiellement déposés en mai 2019. Entre-temps, je suis passée par un incubateur à Montpellier, Alter’Incub, qui m’a permis de formaliser mon projet et de rencontrer Leena Tarasenko, qui travaille avec moi sur le projet depuis.

Je travaille sur l’espace public depuis les années 1990. Mes travaux de recherche universitaire s’intéressaient notamment à l’aménagement urbain au Brésil, où l’espace public a été modelé par les classes les plus aisées pour se séparer des plus modestes.

Le cœur de Concept Luoga, c’est la réappropriation et la réactivation de l’espace public au service de tous et toutes. Je me rappelle d’une étape du Tour de France en région parisienne : cela avait permis de se réapproprier les bords de route pendant un instant. Tout l’espace se transformait parce que les personnes avaient le droit d’y être, de s’y asseoir, d’attendre… Je crois vraiment que la sous-utilisation de l’espace public est un défi qu’on doit relever pour avancer.

Les Bons Clics : Quand est-ce que vous avez commencé à y greffer le numérique et l’inclusion numérique ?

Thérèse Bérard : Notre premier projet, c’était la Carriole. Ce sont des tiers-lieux mobiles qui animent la place publique, à la sortie de l’école, sur le marché… On y sert du café, on s’y rassemble, on y discute. Ce sont des projets portés par des bénévoles, et parrainés par une structure locale.

La dimension numérique de Concept Luoga est venue après, avec la Guitoune, dont la première tournée a eu lieu en décembre 2017 à Béziers. C’est un outil de mise en relation entre les habitants d’un territoire et ce territoire. Une partie des services que l’on y propose concerne l’accès aux droits et les démarches en ligne.

C’est un bureau d’aide ambulant, humanisé dans son fonctionnement, dans la manière de former les animateurs… C’est l’accueil inconditionnel : quand une personne arrive à une Guitoune, c’est une personne entière avec tout ce qu’elle porte, avant d’être un problème, une demande ou un besoin. Cette personne peut avoir envie de parler, de prendre un café ou besoin de régler quelque chose d’urgent. Il y a le droit de ne pas avoir d’objectif et d’enjeu. Ces espaces-là, où l’on va et reste sans raison, ont disparu.

Les demandes les plus récurrentes concernent les démarches en ligne même si, avec l’arrivée de l’hiver, de plus en de personnes viennent nous voir parce qu’elles ont faim ou froid. Dans ces cas-là, on les oriente vers les acteurs locaux compétents.

Les Guitounes sont des espaces d’accueil, de résolution de problème si possible, d’accompagnement et d’orientation.

Depuis la première tournée, on a beaucoup fait évoluer les Guitoune et on a appris à faire de l’accès aux droits dans la rue. Aujourd’hui, il y en a deux dans les QPV (ndlr : quartier prioritaire de la ville) de Béziers mais, puisqu’on a remporté l’appel à projets de la stratégie de lutte contre la pauvreté, nous sommes en train d’en déployer de nouvelles. Fin avril, il y en aura 33 et l’objectif, d’ici fin 2022, c’est qu’il y en ait 60 réparties dans toute la France.

C’est ici que notre offre se démarque véritablement. Ce qu’on propose, avec Béziers comme terrain d’expérimentation, c’est d’équiper des structures (associations, collectivités, maisons de retraite…) et de former leurs équipes. Les Carrioles, les Guitounes ou les espaces numériques ambulants (ENA) sont des projets construits pour permettre à tous et toutes d’aller à la rencontre des personnes les plus isolées.

Concept Luoga : l'espace numérique ambulant permet d'accompagner toutes les personnes vers l'autonomie numérique.
L’espace numérique ambulant de Concept Luoga est en cours d’expérimentation à Béziers – ©Concept Luoga

Les Bons Clics : Qu’est-ce qu’un espace numérique ambulant ?

Thérèse Bérard : Avec les Guitounes, on reste sur de l’informel et du traitement de l’urgence. Ce n’est pas un espace où on peut faire des ateliers collectifs et de l’apprentissage numérique sur le plus long terme. On s’est penchés sur la question en 2018, et ces réflexions ont abouti à la conception de l’Espace Numérique Ambulant (ENA).

Ce sont des petites remorques motrices électriques avec, à l’arrière, une plateforme dépliante. Elle peut rentrer n’importe où et, au-delà de l’équipement informatique (ndlr : cinq postes de travail et un écran de projection), il y a un espace guinguette avec du café et du thé. Pour nous, le numérique, tout seul, ne va pas attirer les personnes qui en ont peur.

Nous avions l’envie de donner un autre espace aux personnes, dans lequel elles pourraient s’asseoir, apprendre et prendre le temps, avec des moments d’apprentissage collectifs autant qu’individuels.

Deux prototypes d’ENA ont été déployés en juillet à Béziers. Il nous faut une année d’expérimentation mais, dès que les tests seront finis, nous commencerons à en installer dans d’autres villes.

Ce ne sont pas des camions : on considère qu’avec un camion, on reconstruit les murs. Tous nos dispositifs sont ouverts, et leur arrivée doit être synonyme de fête. Ils sont colorés, s’ouvrent, comme un origami.

C’est possible de venir avec son propre matériel également. Beaucoup de personnes viennent nous voir pour apprendre à se servir de leur smartphone par exemple.

Nous avons également envie que cela puisse devenir un endroit de découverte des nouvelles technologies comme, par exemple, des casques de réalité virtuelle. L’inclusion numérique, ce n’est pas seulement pouvoir faire son dossier à la CAF, c’est aussi pouvoir suivre l’évolution du monde. Nous ne voulons pas creuser le fossé numérique, d’autant plus que les produits les plus récents peuvent faciliter l’usage du numérique. Il y a 20 ans, les ordinateurs n’étaient pas aussi ergonomiques et intuitifs qu’aujourd’hui.

Les Bons Clics : Combien de personnes accompagnez-vous avec les Guitounes et les Espaces Numériques Ambulants ?

Thérèse Bérard : Une Guitoune qui fonctionne normalement, ce sont cinq sorties de deux heures par semaine. Deux heures, c’est beaucoup : il y a le temps de préparation, évidemment, mais il y a aussi tout le suivi des personnes accueillies et avec les partenaires. On a 60 partenaires opérationnels, ça demande du temps.

Sur une année, une Guitoune reçoit 5 000 visites. On estime que cela fait environ 3 000 personnes. De tous les dispositifs que j’ai créés auparavant, c’est le meilleur rapport temps humain – public touché. Il suffit d’aller au bon endroit. Même s’ils ne viennent pas la première fois, ils viendront peut-être la seconde pour un café, la troisième pour être aidés.

L’ENA, pour moi, c’est le principe de la place du village. Chacun de ses points d’arrêt doit être construit avec tous les partenaires locaux. Mon rêve, c’est que l’ENA fonctionne avec des réseaux d’aidants et d’aidés qui se rendent sur place dès que l’ENA arrive. Je pense qu’on touchera moins de personnes, mais nous passerons plus de temps avec elles.

Notre catalogue de formations est pensé pour des ateliers collectifs ou un accueil au fil de l’eau. Les thématiques que nous traitons dépendent de ce que les personnes demandent, mais nous les formons par exemple aux compétences numériques de base, aux risques d’internet ou à la désinformation. C’est aussi dans ce cadre que certaines des formations Les Bons Clics nous intéressent particulièrement.

Concept Luoga repose sur une offre innovante : non seulement nous livrons les outils (Carrioles, Guitounes, ENA…), mais nous accompagnons et formons également les équipes qui vont s’en servir. La communauté de structures déployant nos solutions va continuer à s’agrandir, et permettra de construire un réseau d’aide complet et humain au plus près des publics.

Les Bons Clics : Le féminisme est un axe d’action majeur de Concept Luoga. Comment combinez-vous le féminisme et l’inclusion numérique ?

Thérèse Bérard : Dans beaucoup de familles, ce sont les mères qui portent la charge administrative, la responsabilité de l’accès aux droits et de l’éducation scolaire des enfants. Elles ont pourtant moins accès au numérique, et ça devient très complexe pour elles de gérer ça.

Pour les femmes de manière générale, et pas uniquement dans leur rôle de mères, une des problématiques concerne l’accès aux informations – concernant les violences faites aux femmes notamment. En France, ce n’est pas du tout lisible dans l’espace public et, quand c’est lisible, les démarches n’aboutissent pas forcément. Combien de femmes a-t-on reçu, en situation d’urgence, qui refusent d’aller au commissariat parce qu’elles ont essayé et que ça s’est mal passé ?

Le paradoxe avec le numérique, c’est que ça isole, mais que ça a permis l’émergence d’outils incroyables. Mémo de vie, par exemple, est un journal intime mis à disposition de toutes les victimes de violences : c’est sécurisé, verrouillé, et ça permet d’accumuler de la matière pour le jour où elles seront prêtes à se rendre devant la justice. 

Beaucoup d’autres outils existent, mais ils ne sont accessibles qu’à condition d’avoir en face de soi une personne qui a accès au numérique et à l’information. Je crois que l’ENA et les Guitounes ont un rôle important à jouer là-dedans.

C’est pour cela qu’on veut mettre en place une plateforme numérique spécifique aux problématiques des femmes, avec un volet local et un volet national, qui compile ces outils numériques d’une part, et d’autre part tous les plans B du coin. Par exemple, à Béziers, une église accueille les personnes dans le besoin, mais il faut le savoir. C’est un projet financé par la Fondation RAJA. Pour l’instant, nous sommes en train de rédiger le cahier des charges, et on aimerait une première version en février.

Concept Luoga : les Guitounes sont des espaces d'accueil inconditionnel ouverts à tous et toutes.
Les Guitounes sont des espaces d’accueil inconditionnel ouverts à tous et toutes – ©Concept Luoga

Les outils de Concept Luoga vous intéressent ? Pour équiper votre structure, direction www.luoga.org ! Les tarifs sont indiqués sur les pages de chaque projet.

Et téléchargez ci-dessous une fiche synthétisant l’offre des Guitounes :

Cet article sur les formations au numérique et à internet a été financé dans le cadre du plan France Relance.
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