Formation numérique au DigiTruck : « J’ai eu de la chance de venir ici »
Depuis le 28 février, un camion reconverti en salle de classe numérique sillonne l’Île-de-France. Il s’agit du DigiTruck, une initiative de Huawei qui, après une première édition dans les Hauts-de-France, a été reconduite en partenariat avec l’entreprise sociale Close The Gap et l’association WeTechCare, qui développe Les Bons Clics.
Du lundi au samedi, la médiatrice numérique Caroline Viphakone et ses collègues y organisent des ateliers numériques gratuits, traitant des compétences numériques de base, de l’utilisation des réseaux sociaux ou encore de la parentalité à l’ère du numérique. Les jeudis matin, eux, sont réservés à des médiateurs et des médiatrices numériques pour une formation de trois heures. Il leur est également proposé de rester l’après-midi pour mettre en pratique les acquis du matin sous forme de permanence.
C’est donc un jeudi que le média Les Bons Clics a choisi de se rendre au DigiTruck, deux jours avant qu’il quitte la porte de Saint-Ouen, dans le 17ème arrondissement de Paris, pour se rendre à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis (93).
Enjeux méthodologiques, barrières techniques
« Pour l’instant, mon travail comprend beaucoup de faire pour, et moins de faire avec », explique Jérémy Arnoult au début de la formation. Recruté par la mairie de Le-Perreux-sur-Marne (94), ce conseiller numérique France Services (CNFS) accompagne des personnes de tout âge pour leurs démarches administratives en ligne. « J’espère que dans le futur, poursuit-il, je pourrais aider les personnes que j’accompagne à devenir autonomes ».
« Tout le monde ne pourra pas devenir autonome », déclare alors France Gorgi, présidente et fondatrice de l’association Cyber Ecrivain Public, qui participait également à l’atelier. Pour elle, « dix, vingt ou trente heures de formation ne suffisent pas à rendre autonome : dès qu’il y a une panne, une mise à jour… Les personnes sont perdues. Et ce n’est pas qu’une affaire d’informatique, c’est aussi une affaire de droits ». Anne-Sophie Laurent, une CNFS travaillant à temps plein pour l’association depuis février, concorde : toutes deux aident les bénéficiaires autour des démarches en ligne et du droit au travail et à la consommation.
Amine Ziriat, en service civique à la MJC/MPT (Maison des Jeunes et de la Culture / Maison pour Tous) de Bonneuil-sur-Marne, envisage pour sa part de former les salariés de son association au numérique et prépare également un atelier d’initiation à destination des personnes de 60 ans et plus.
C’est au travers de plusieurs cas pratiques qu’ils ont abordé ensemble les questions de l’accompagnement individuel aux démarches en ligne et aux premiers usages. Quelle posture adopter, quelles questions poser et quel accompagnement proposer ?
Pour France Gorgi par exemple, « le plus important, c’est de qualifier la demande. Des techniques de questionnement existent pour savoir s’il faut réorienter la personne vers une autre structure ou l’accompagner nous-mêmes ». Certaines personnes pouvant être réticentes, il est essentiel pour cette dernière d’expliquer sa démarche aux personnes accompagnées, pour ne pas paraître intrusif.
Il s’agit de « redonner le cadre » de l’accompagnement, une étape dont le groupe semble confirmer l’importance. Autre point d’union, le fait de « partir de ce que les personnes savent, ou ne savent pas qu’elles savent » pour les mettre en confiance.
Des questions plus techniques ont également surgi, comme celle des différences d’équipement, de système d’exploitation, de certaines démarches comme le relevé de carrière, ou encore du vocabulaire. Certains préfèrent par exemple parler d’ateliers et d’autres de cours.
« Une des personnes que j’accompagne avait reçu un faux mail des impôts. Dès que j’ai dit le mot arnaque, elle se comportait comme si elle avait déjà été arnaquée. J’ai dû trouver des synonymes pour lui expliquer que ce n’était pas le cas »
Jérémy Arnoult, CNFS à Le Perreux-sur-Marne (94)
Si la formation qu’ont suivie Amine, Anne-Sophie, France et Jérémy vous intéresse, vous pouvez vous inscrire sur cette page. Et s’il vous est impossible d’assister à une formation en présentiel, la page Eventbrite des Bons Clics recense leurs pendants virtuels. Ces classes virtuelles sont elles aussi gratuites !
« C’est dommage que le camion ne reste pas plus longtemps… »
Trois des médiateurs et médiatrices présents ont choisi de passer leur après-midi au DigiTruck pour participer à une permanence connectée improvisée et mettre en pratique les réflexions de la matinée. Ils ont ainsi pu rencontrer et aider sept apprenants, dont certains voulaient savoir envoyer un mail depuis leur ordinateur, faire une capture d’écran ou envoyer des photos.
« Mails, messages, sites internet… Je veux tout apprendre. Il y a plein de choses, et je ne connais rien du tout. Je suis comme un enfant qui commence à marcher et qui tombe », concède Amina Bouadbellah, le sourire aux lèvres. « Aujourd’hui, tout se fait par mail, remarque-t-elle. Les rendez-vous à la préfecture, avec le médecin, avec l’assurance… A mon âge, je dois me déplacer là-bas. Des fois, on me dit que je ne peux pas prendre de rendez-vous parce que ça se fait par internet… C’est à la mairie qu’ils me donnent un coup de main pour les rendez-vous ».
« C’est mon deuxième jour ici », poursuit la septuagénaire qui a franchi les portes du DigiTruck après que l’Armée du Salut le lui ait conseillé. Le fruit du travail de Caroline Vipakhone, la médiatrice numérique qui suit le camion en Île-de-France. « Avec un projet de formation en itinérance, il est essentiel de parler à tous les acteurs alentour. J’ai passé les deux premiers jours ici à distribuer nos flyers, je suis allée à la rencontre des bénévoles de l’Armée du Salut, des personnes en charge du centre social Cefia, j’ai parlé du projet à tous les commerces de proximité et aux habitants que je croisais… »
C’est ainsi, par exemple, qu’Abdelkader Bouihenni a entendu parler des formations. « C’est ma fille, qui a croisé Caroline, qui m’a dit de m’inscrire, explique ce libraire à la retraite. J’y suis allé sans trop de motivation au début, mais je n’ai pas loupé un jour depuis ».
S’il admet ne pas encore tout comprendre, il estime avoir moins peur de son ordinateur. « Ces ateliers m’ont mis le pied à l’étrier. J’ai envie d’apprendre maintenant. Avec Les Bons Clics, je suis même des cours tous les jours sur l’utilisation du clavier ». Son voisin, Jacques Perez, précise s’y connaître un peu mieux : s’il vient aux ateliers, c’est avant tout pour être au courant des dernières évolutions : « il y a toujours de nouveaux trucs, et il faut se mettre à la page ».
« J’ai commencé des cours il y a deux mois, mais ce n’était pas efficace car j’étais accompagné à chaque fois par une personne différente. Je suis donc allé en librairie pour demander le livre le plus simple possible pour comprendre l’informatique. Je n’ai rien compris : il y avait des mots anglais, des termes barbares, du vocabulaire technique… J’ai eu de la chance de venir ici ».
– Abdelkader Bouihenni (à droite de la photo)
Marie-Odile Bondoux, elle, a entendu parler des ateliers par sa nouvelle conseillère Pôle emploi ainsi qu’au centre social Cefia. « Je cherchais moi-même une formation à l’informatique, et je ne l’ai jamais obtenue, confie-t-elle. Je voulais vraiment m’en sortir seule et être autonome. Les cours qu’on a au DigiTruck sont utiles, intenses, et en plus ils sont gratuits : je n’ai même pas besoin de dépenser mon solde CPF ».
Pour cette chercheuse d’emploi qui a suivi trois ateliers au DigiTruck, l’intérêt d’une formation numérique est notamment professionnel. « Consulter les offres, c’est facile, mais pour postuler, je bloque complètement. Me former à l’informatique me permettra vraiment de passer à autre chose. C’est une vraie chance ».
Formation dans les 8 départements d’Île-de-France
Le DigiTruck continuera à parcourir l’Île-de-France pendant cinq mois, jusqu’à fin juillet, et ambitionne de marquer au moins un arrêt dans chacun des huit départements de la région. « L’objectif est de cibler les QPV (ndlr : quartiers prioritaires de la ville) qui concentrent des besoins en formation, en insertion sociale et professionnelle », détaille Léa Roué, directrice du projet DigiTruck pour WeTechCare.
Le calendrier des villes d’implantation est actualisé sur Les Bons Clics. Pour l’instant, le camion restera à Noisy-le-Grand jusqu’au 16 avril. Si vous souhaitez vous impliquer dans ce projet, vous pouvez :
- Relayer le projet dans vos structures en inscrivant vos publics aux formations gratuites. « Il est possible de privatiser des sessions pour des groupes si besoin », précise Léa Roué ;
- Participer à une formation à destination des médiateurs et des médiatrices numériques, comme Amine, Anne-Sophie, France et Jérémy ;
- Et/ou contacter l’équipe pour co-animer des formations ou des permanences numériques (par mail à digitruck@wetechcare.org ou par SMS au 06.46.75.98.25)
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Malheureusement, la profession de Conseiller Numérique n’est pas considérée à sa juste valeur.
Sur emploipublic.fr on trouve ceci : « Aucune formation initiale, ni expérience professionnelle dans le domaine du numérique ou du social n’est requise pour devenir conseiller numérique. »
C’est une blague. Comment accompagner efficacement sans une bonne maîtrise du Français et même, à minima, des notions d’Anglais ? Comment accompagner efficacement sans expérience pédagogique ? C’est autant un métier de formation que d’accompagnement social. Une double compétence qui passe à la trappe quand vient le moment de parler rémunération.